et maintenant: écrire
la vie m'a déserté: mais soutenir cela avec trop d'insistance serait injuste. qu'il suffise de lever les yeux sur la misère, la seule qui vaille, lue en autrui, indéfiniment différente de la nôtre, épaisse comme une écorce rocheuse, palpable dans la solitude, celle qu'on a lue et qu'on a failli envier de n'être pas à nous. misère d'un autre qu'on a voulu envier dans la petite volupté de la déchéance. misère d'une autre qu'on n'a pu envier, faute de pouvoir envier quoique ce fût... la vie m'a déserté: mais cela n'est pas exact puisqu'il reste encore au menteur qui la profère une force d'écrire - et à toute force une joie. croyez toutefois à la maigreur de la satisfaction, à l'apathie, à l'espèce de léthargie désabusée, aux impulsions contraires à l'origine et au soutien de cet acte: écrire.il semble que l'oeil posé sur la main, l'oeil nourri d'une vaste habitude de sentir, soit délavé, tombe sur le support, le matériau, l'outil, les membres en exercice comme une feuille craquelée et superflue. et c'est emporté par le fleuve intérieur, lui-même noyé à sa fatalité que cet oeil se clôt. fulgurance: tout passe, et l'on conçoit le devenir, un jour, vaquant à son inaction définitive. la vie m'a déserté: ou est-ce la fatigue qui, d'avoir fait transparaître le corps à sa nuit, a achevé d'en rogner l'âme; et tout processus, même du rêve (son rayonnement opaque, ses métamorphoses solides) semble à la nuit composé d'une transparence absolue. alors que reste-t-il hors une conscience fluide, cristallisée, traversée du monde comme les persiennes de la chambre le sont des matines du soleil - ou injectée du rien comme d'un abandon qui ne finit pas; et que penser de ce cycle étrange qui, jamais, ne revient à sa situation initiale mais peu à peu, sans cesse, prend le parti de l'Incohésion, de la distance totale à soi-même et de l'inertie finale.
ah dormir, et ne plus subir l'affront des rêves qui annoncent leur irréalité avec inhumaine franchise. ah dormir et ne plus subir leur cynisme, eux qui se déclarent - pour se jouer de notre soif essentielle - d'emblée vides. ah dormir - et être pourvu du don introuvé de jouir du néant et d'oublier. le paradis est une insomnie sans fatigue, sans mémoire, sans imagination: la vie m'a déserté.
mais elle revient en ce cycle étrange qui jamais ne retrouve sa situation initiale. le courage a manqué. elle revient et il est temps d'oublier notre sidération, notre déficit d'existence. temps de quitter cette souffrance sans matière, ce temps noué, coincé, dégluti, ce seuil aux limites duquel vient de nous jeter cette fiction: écrire.
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vagabond vagabondant,
13/05/2016, 16:00
- et maintenant: écrire - Ecrire, 14/05/2016, 21:17
- et maintenant: écrire - zeio, 15/05/2016, 02:20