crtitique de mon recueil polder 168

par Rémy @, mardi 07 juin 2016, 21:25 (il y a 3092 jours) @ Rod.

S'il t'appelle roro, c'est ton petit deudeu, ou ton petit nini. Moi je veux bien être le réré de qui voudra, mais pour le mymy, c'est réservé à ceuceux avec quiqui je fais dodo.



Là-dessus il faut absolument que je vous raconte l'histoire des surnoms des sœurs de ma grand-mère, parce qu'elle est marrante comme tout, et parce que c'est un hommage à elle qui aimait la raconter avec son accent chantant.
Dans les campagnes du temps du patois, on avait beaucoup d'enfants, et on donnait des prénoms en hommage à ses aïeux, de sorte que les prénoms étaient à rallonge et souvent occupés par plusieurs personnes, et qu'on avait besoin de surnoms pour savoir de qui on parlait.
Ainsi donc dans l'enfance de ma grand-mère (Céline, un prénom beau et rare, qui ne demandait pas de surnom) se préparait à la ferme un sixième enfant. L'on s'en réjouissait ; si c'était un garçon, on l'appellerait Georges, et en cas de fille, Georgette - à cause d'un aïeul à qui on devait bien au moins ça sur le coup du sixième enfant.
Mais hélas la vie n'est pas éternelle, et la vieille grand-mère de toute la famille (la grand-mère de ma grand-mère, donc) (Louise, dite Louison, parce qu'une voisine vaguement parente s'appelait Louise, dite Louisette) (elle n'était pas vraiment du pays, on n'utilise pas le diminutif "ette" en Limousin) (mais enfin, même n'étant pas du coin, il fallait bien la différencier de l'autre Louise, d'où Louison et Louisette) (qui ne s'appréciaient guère, et donc qu'il était d'autant plus important de différencier pour éviter tout impair) (où en étais-je ? Ah oui : grand-mère Louison), se sentant décliner, appela les futurs parents auprès de son grabat, et, forte de sa vie interminable et de son immense faiblesse une fois parvenue au bout d'icelle (sans compter sa prolificité gliresque), leur déclara qu'elle s'apprêtait à rendre l'âme et qu'ils nommeraient leur enfant en souvenir d'elle, Louis si c'était un garçon, Louise en cas de fille. Et là-dessus, elle mourut et fut enterrée dignement.
La naissance survint, et ce fut une fille. L'on alla donc la déclarer à l'État-Civil, et, sagement, l'on la prénomma Louise en souvenir de sa grand-mère ; l'on la baptisa de même ; mais l'on ne changea pas pour autant d'intentions, surtout que l'autre Louise (la Louisette) n'était pas morte, elle, et occupait déjà fermement ce prénom que personne n'appréciait beaucoup (en partie à cause de cette étrangère et en partie à cause du caractère, euh, fort, de sa défunte concurrente, la Louison) (qu'on évoquait encore assez souvent, justement à cause de son caractère, euh, fort) (et de sa prolificité gliresque) (mais feu son mari (Albert), lui, avait sauvé tout le village de la famine après l'hiver où le bétail était mort de froid, en attelant ses fils pour labourer quand même, et le respect à son égard était immense) (les premiers enfants avaient été nommés Albert ou Albertine dans un grand nombre de familles, d'où abondance de Bérous (Bébert n'est pas Limousin et ça remplace Robert, pas Albert) et de Tines). Donc on parla à la gamine en l'appelant Georgette, comme prévu - ça devint son surnom, et quand elle se maria, le maire l'appela "Louise L., dite Georgette" et elle répondit que c'était bien elle.
Cela dit son mariage n'intervint qu'un certain nombre d'années après, et entretemps, un septième enfant était né, encore une fille. Puisque le prénom de Georges ou Georgette n'avait pas été utilisé à l'État-Civil, le fantôme de l'aïeul à qui il devait faire honneur n'était pas encore apaisé et revenait régulièrement hanter la ferme, ou du moins, la conscience des parents de ma grand-mère et de la nouvelle-née. L'on s'en servit donc cette fois, la petite dernière fut déclarée et baptisée Georgette.
Évidemment, on ne pouvait pas l'appeler comme ça dans la vie de tous les jours, à cause de sa sœur Louise qu'on appelait déjà Georgette - on ne s'y serait plus retrouvés. Alors on lui donna le surnom de Dédée - pourquoi pas, après tout. On avait donc Louise, dite Georgette, et Georgette, dite Dédée. Quand leur frère Maurice épousa une Léontine à beaux yeux bleus, dite Tine à l'instar d'un certain nombre d'Albertines, et que la vieille mère d'icelle, Andrée, vint finir ses vieux jours dans la petite maison en face de la ferme, on ne put pas reprendre le surnom qu'elle avait dans le village d'où elle venait, Dédée, alors on l'appela Nini. La Nini, plus exactement. Curieusement, on ne m'a jamais dit comment on surnommait la mère de ma grand-mère, dont le prénom officiel était Eugénie, et qu'on n'aurait pas pu appeler Nini puisqu'une autre Nini habitait just'en face...
Voilà, c'est toute l'histoire. À ce jour Louisette, les parents dont Eugénie, la Nini, Georgette, Maurice puis Tine, et même ma grand-mère Céline sont tous morts (bien qu'ils aient tous été fort résistants, par exemple la tata Tine s'était un jour rendu compte que la pile de son pacemaker était périmée depuis cinq ans, c'est dire qu'elle n'allait pas souvent voir le docteur et encore moins le cardiologue) (elle n'aimait pas ça parce qu'il fallait se laver) (quant à l'utilité du pacemaker, ma foi, il faut bien que les cardiologues vivent de quelque chose, dans ces pays de centenaires increvables). La dernière survivante, c'est la Dédée. Comme quoi...

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