Ligne sensible

par Écrire, dimanche 12 octobre 2014, 11:49 (il y a 3698 jours)

La vie se situait de l'autre côté d'une ligne sensible. On en apercevait les contours dans les magazines qui traînaient dans la salle d'attente du docteur, qui acceptait de nous recevoir sur la foi écornée d'une promesse de paiement ultérieure. Dans cette heureuse version, des gens se rencontraient, s'aimaient se mariaient et enfantaient, portés par un même élan. Le mari jouissait d'une situation stable accompagnée de revenus confortables. L'épouse travaillait, ou pas, à sa convenance. On s'était fait construire une maison exposée à la lumière dans un quartier verdoyant. Les voisins se montraient serviables, proches et conviviaux. On s'invitait les uns les autres à l'occasion de réjouissances hebdomadaires, organisées à grands frais dans de somptueux jardins privatifs. Certes, on savait qu'il y avait du malheur dans le monde et peut-être même, supposait-on, des malheureux. Notre bonne fortune compensait ces étranges déboires. C'était notre conception de la justice : sa balance favorablement penchée vers nous dans une posture fixe, pour l'éternité. Avait-on entendu parler de la lutte des classes ? Oui, bien sûr. Et l'on se promettait d'étudier la chose dès que nos loisirs nous accorderaient un peu de répit.

Ligne sensible

par Écrire, dimanche 12 octobre 2014, 22:26 (il y a 3698 jours) @ Écrire

La vie, nous en offrons un aperçu sur les photos où nous sourions, comme si nous passions la ligne sensible sans effort, sur simple commande de l'opérateur. L'exercice reste à ma portée pendant quelques années. Mais dès que j'aborde "l'âge bête", j'en viens à raisonner et le sourire s'amenuise. Maintenant, sourire reviendrait à se mentir. Grimacer, au contraire, équivaut à se mettre au service de l'exactitude. Le fait est que nous souffrons, que nous avons peur et que la honte a mauvaise haleine. Cessons de servir l'instantané spectacle de la légèreté quand nous pataugeons dans la purée et alors, nous aurons peut être une chance de nous ressaisir. Car, admettons le, nous croyons que de cette bouillie pourrait émerger quelques dignes qualités. Nous sommes mûrs pour l'idéalisme.