Les chemins, les feuilles et une Clio
Au bout du chemin, il y a une trouée de lumière. Une rangée de fougère longe la prairie. Sur la macadam, l’ombre ciselée des arbres. Quelques tiges de fougères remuent doucement. Un bidon de plastique a été jeté au pied du chêne. La moissonneuse-batteuse est sous le hangar. Au bord de la prairie, deux fûts de peupliers parfaitement parallèles. Quelques glands tombent. Ces derniers temps avec Josiane on s’engueule trop. L’odeur de l’humus mouillé est prégnante. Sur un poteau d’EDF une plaque d’identification bleue. Soudain le bruit de quelque chose heurtant la voiture stationnée. Pour moi, ce sera vraiment une première fois. J’espère ne pas être déçu. La prairie récemment fauchée est inondée de soleil. Des lierres entortillent les troncs noueux. Les ornières terreuses de chaque côté de l’herbe sur le chemin. Les rayons lumineux transpercent le fouillis dru des branchages. Evidemment deux fois par mois, ça commence à faire un budget. Toujours la chute intermittente des glands. J’aimerais bien avant pouvoir me parfumer. Le ciel au nord est intensément bleu. La petite route goudronnée s’engouffre dans une dépression du terrain. Les fils électriques au-dessus de la route se fondent dans le feuillage. Au rythme doux et changeant du vent les feuilles légères sur leur tige se balancent. Jusqu’au sol, la ramure fournie d’un chêne tortueux s’affaisse. Elle est discrète heureusement. Mais pourquoi donc elle fait ça ? Dans le sol argileux les cailloux ronds se mélangent aux glands écrasés, les feuilles pourrissantes et les débris de branches. J’ai une jument qui a la fièvre, je n’aurai pas le temps de faucher. Un nuage passe devant le soleil. Les ombres s’estompent dans le paysage. Le sentier envahi par les herbes s’efface dans la forêt. Le ronflement lointain d’un avion. Le bruit sur la voiture tout à l’heure n’est toujours pas élucidé. Ça ne dure qu’une demi-heure avec elle. Pauvre femme, devoir descendre si bas. Probabilité d’un gland encore tombant. Une clôture électrifiée borde le champ, au sud, vers la chaîne montagneuse. Sous les grands arbres, un tapis doré de feuilles. Un camion roule sur la route départementale. Une variété d’essences végétales compose le bosquet. Moi je préfère être propre dans ces moments là. Par instant, silence et immobilité figent la forêt, les collines. Sauf une mouche ou un gazouillis d’oiseau. Après vingt ans de mariage, ça peut se comprendre. Sur les sols, le dessin complexe des ombres que sculpte la lumière. Un pic-vert martèle l’écorce d’un frêne. A partir de midi, ma barbe est piquante, tant pis !
Le tapotement des gouttes sur la carrosserie faiblit. Sous la voûte des arbres, au bout du chemin, la clairière est moins lumineuse. Il faut surtout bien se protéger, par prudence. La buée persiste sur les vitres. Seulement un chuintement de pluie entre les branches. Au-milieu de la prairie, le sentier détrempé est luisant, il se perd dans la pénombre bosquet. Au fond, je suis peut-être un salaud. La cime des chênes est nettement distincte. La haie de fougère, complètement rousse. Les perles d’eau, suspendues aux branches, étincèlent. Si seulement avec Josiane, ça pouvait aller mieux. Les rayures de la pluie comme un rideau sur fond de feuillage. L’horizon des collines est traversé de nuages bas. Faudra vite réparer la toiture de l’étable avant l’hiver. Des bâtiments de ferme émergent des parcelles et du bocage. Mouvement lent des nuages. Les vieilles pierres des bâtisses sont recouvertes de tôles. Une citerne roulante a été amenée au-milieu du champ. Et le cours du maïs qui n’arrête pas de baisser. Dans les flaques la clarté du ciel éblouit. La pluie n’est plus qu’un imperceptible chuchotement. Le soir, en rentrant, je suis crevé, quand je la vois l’après-midi. Sur le chemin des plaques de goudron colmatent les trous. Les nuages, comme une fumée dont on ne verrait jamais le foyer. Un jour je lui dirai tout à elle, franchement. Sur les pans inclinés du paysages, surgissent frondaison et torsades de verdure. Tous mais silos ne sont pas encore remplis, c’est inquiétant. Parfois la conversation est très animée entre les oiseaux. Des coques hirsutes de marrons jonchent le sol. Encore un avion invisible qui se déplace dans l’air. Vigoureusement s’élancent les tiges lustrées des herbes mouillées. A l’horizontale, l’enchevêtrement des fines branches. La paix revient petit à petit dans la nature. Les uns après les autres, elle nous reçoit toutes les demi-heures, elle ne nous parle pas. Le chemin goudronné, sinueux, pénètre dans la forêt. Les piquets des clôtures, dans l’herbe, ressemblent à des gardiens. Moi, malgré son âge, ça m’est égal. Une feuille peut devenir un oiseau. Ce rouge-gorge à l’extrémité d’une branche. La Clio vient se garer au bord du chemin, dérangeant le silence. Une vieille femme, grosse, à lunette, un chignon de cheveux blanc, est au volant. Le corbeau se perche sur un piquet de clôture. Je n’irai pas aujourd’hui à l’assemblée générale de la coopérative. Pourquoi les vaches broutent-elles toujours dans le même sens ? La crête des montagnes se découpe joliment sous la lumière vive des nuages. Dans la Clio les ombres s’enlacent. Les ornières du chemin disparaissent sous l’épaisseur des feuilles.
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Ramm77,
20/10/2014, 15:56
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