La marcheuse

par Vagabond vagabondant, mercredi 13 juillet 2016, 18:46 (il y a 3056 jours)

Au réveil, tu te sens mort. Les pans d'espace brûlants
referment leurs bras sur tes draps. Sors, il faut sortir ton tourment,
lever cette solitude au dos d'esclave.
Sors. Sors pour les trottoirs sales et lumineux,
pour les places trop étroites à ton cœur.

Dans la ville immense,
marcher sans penser parmi
les bruits du soleil, le vent plus doux, les rires d'enfants
les airs espagnols de guitare, les jeux de parcs,
les femmes si belles en jupe, les femmes moins belles en jupe
et tous les miracles qui vous saluent ;
marcher parmi
la misère implorante, la tristesse qui anéantit
et l'impatience qui réveille ;
la force du pas gagné,
la détresse du pas rompu,
les odeurs hasardées d'urine, de parfums,
de sueurs, d'herbes, de chiens,
aux Buttes-Chaumonts
et tous les miracles qui vous saluent

plus tard la Piazza de Beaubourg

et toi, à cette sensation de silence, les rues aux êtres brûlants
refermant leurs bras sur tes jambes,
tu te demandes
où vais-je, où vais-je,
orage dans le sang des fièvres
- vers qui ? -

et parfois
une apparition:
c'est la Fontaine où Saint-Michel vainc le dragon
le Pont des Arts, Brassens qui le traverse pour toujours
le fou qui trébuche et qui râle
un regard entre deux rayons d'une bibliothèque
lui qui feint de l'ignorer, elle qui l'ignore l'ignorant

ta santé n'attend plus la nuit pour s'élargir
elle sent la lumière brune d'une qui marche à tes côtés,
d'une qui marche, trouble au talon, trouble au mollet, trouble qui -
d'une grande exaltation solaire - remonte
à ton pouls, ton visage,
comble avec application
ta charpente aux vents foudroyants
ce coeur qu'est ton corps décharné par la ville
ce corps qui bat, flanche, s'arrête, se redresse
conquiert, s'égare,
lui parle
par vagues
en sa douceur vivace et retenue

Dans la ville immense
ta pensée caresse sa périphérie
et borde d'un châle léger
la marcheuse d'à-côté
qui sourit

La marcheuse

par Roger Walser, mercredi 13 juillet 2016, 19:43 (il y a 3056 jours) @ Vagabond vagabondant

Hmm quel bel abrégé de Poésie...


Tout d’abord le poète se réveille avec une belle gueule de bois dans sa mansarde maudite, puis l’air léger du dehors l’incite à prendre l’air, et quelle joie comme on sait, de prendre l’air dans la plus belle ville au monde de bon matin : Paris et ses airs, ses poètes, ses chanteurs engagés, l’amour inouï qui nous prend aux tempes à chaque coin de rue !
Ensuite, dans la ville immense qui est aussi la plus petite capitale européenne, le poète fait front aux éléments urbains, aux familles, à la misère ! Et il se réveille enfin, dans cet endroit parfaitement anodin qu’est Paris qu’il habite par pur hasard, pour confronter son âme maudite à la misère du peuple qui souffre tel chanté par Hugo, mais aussi à toute la mélancolie des quartiers sinistrés, où des lumières singulières éveillent l’âme à la conscience sociale, et transpercent le désespoir de leur rayonnement fauve. Et quel silence, quand on est convaincu de La cause, de la vérité sociale, quel silence soudain, quand on se recueille sur les boulevards vers Beaubourg, on n’entend rien qu’un cri de merle au tréfonds de soi, qui agite comme les plumes de la liberté, le destin des parisiens vers la lumière, non loin de République… Mais non c’est Saint-Michel ! Ses pavés lancés, ses prises de liberté grandiose, Sartre et la liberté totale, ne plus dépendre de rien qu’un arrondissement et demi, la voilà la liberté ! Et là c’est la suffocation, tant d’amour concentrique et rose qui boue dans les traverses, les odeurs fines (et même l’urine est transfigurée comme un christ de Rembrandt !)… Jusqu’à ce que La passante, ignorant tout, atteigne dans toute sa splendeur, sa lingerie fine et sa démarche, le poète ressuscité. Dans la ville immense enfin, on se prend à rêver de périphérie : Versailles, Trouville où les tintements des cuillers à café déjà, nous appellent comme un air marin…

La marcheuse

par Vagabond vagabondant, mercredi 13 juillet 2016, 19:50 (il y a 3056 jours) @ Roger Walser

coucou Voltaire !

La marcheuse

par Roger Walser, mercredi 13 juillet 2016, 19:57 (il y a 3056 jours) @ Vagabond vagabondant

Encore un parigot :)
Ce n'était qu'une distraction... mais ce n'est pas votre poème le plus fameux.

La marcheuse

par Vabagond vabadongant, vendredi 15 juillet 2016, 01:21 (il y a 3055 jours) @ Roger Walser

c'est tout à fait probable

La marcheuse

par Florian, samedi 16 juillet 2016, 12:13 (il y a 3054 jours) @ Vabagond vabadongant

Mais j'ai le souvenir de magnifiques poèmes. ..

La marcheuse

par Vagabond vagabondant, mercredi 13 juillet 2016, 19:54 (il y a 3056 jours) @ Roger Walser

elle est drôle ta lecture, elle fait un peu mal, mais il faut me comprendre, je n'étais qu'un garçon de passage, pas parisien pour un sou, ni maudit d'ailleurs, en somme un provincial (installé par nécessité) chez une parisienne harcelante, jeune bovin candide qui ne pensait qu'à fuir au petit matin pour cette étudiante adorable et inconnue qu'il devait rencontrer le lendemain et à qui il dédie ce poème maladroit oulalala :s

(mais que cette capitale soit petite ne l'empêche pas d'être immense relativement au marcheur de deux jours)

La marcheuse

par Vagabond vagabondant, mercredi 13 juillet 2016, 20:02 (il y a 3056 jours) @ Vagabond vagabondant

du reste, il faut bien s'agiter en niaiseries, en cynismes, en poèmes ratés ou réussis

cela fait le sel du désennui

La marcheuse

par Lectrice :)), dimanche 17 juillet 2016, 11:54 (il y a 3053 jours) @ Roger Walser

je ne connaissais pas le poète Robert Walser
En me renseignant, je me suis retrouvée à lire la page complète que je joins ici-même sans interruption
C'est rarissime venant de ma part :))
http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/01/robert-walser-po%C3%A8te-germanophone.html

Je vous remercie donc pour la référence :))

La marcheuse

par Écrire, mercredi 13 juillet 2016, 19:54 (il y a 3056 jours) @ Vagabond vagabondant

Je trouve ce texte remarquable. Bravo. Je vais le relire plusieurs fois.

La marcheuse

par Roger Walser, mercredi 13 juillet 2016, 19:59 (il y a 3056 jours) @ Écrire

Le comble de l'hypocrisie encore atteint par trucmuche.
Que cela n'est qu'une forme édulcorée des affres, de se coltiner son bonheur nul et de le frotter à qui va pour les justifier. Enfin, trucmuche est inchangeable...

J'ai deviné la devinette !

par Rémy @, samedi 16 juillet 2016, 01:16 (il y a 3054 jours) @ Vagabond vagabondant

C'est l'absinthe !