Devenir rien je ne suis roi

par 411, dimanche 26 octobre 2014, 12:05 (il y a 3684 jours)

Le mouvement de l'eau, là, devant moi délicat éclate comme un au-delà sans fonction, sans volonté et sans arrêt recommencé. La précision mouvante de l'élément eau m'arrache à mes tensions internes - me tire vers le haut - l'écume efface le fond des choses, la surface emporte tout, puis ramène sur la berge le sable mastiqué, la chair à nu du minéral et c'est la dissolution, c'est le corps qui ne pense plus, c'est la tranquillité.

- alors la mer entraîne avec elle l'appel des âmes érodées, c'est l’apaisement soudain, en pleurer de ne plus être, en avancer les mains vers le ciel en crier soudain au fond de soi: JE NE SUIS RIEN - Savoir SOUDAIN que tout partira, en trembler de plaisir de savoir qu'à deux pas de la peau, le courant nettoie tout.

- savoir que la vérité n'est pas tout, et que l’œil est jaloux et n'avoue qu'à mi-voix les ombres qu'il a vu - savoir que le bonheur est un réflexe, et que l'on peut un jour en se baissant

devenir roi.

Tirer satisfaction d'une indifférence rebelle, d'une attention sans objet et d'une âme incapable ; ne s'intéresser qu'à tout. Devenir écume. Surface. Miroir poli. Ne plus avoir à dire ce que l'on pense, avoir le courage du silence, le panache d'une absence d'opinion. Être le roi accroupi, le tyran masochiste, qui refuse de dire son nom, la fin du monde en se taisant,

- continuer à courir le fond de l'eau sans faire de bruit, à dévaler entre les berges de sa conscience sans jamais vouloir se jeter dans quoi que ce soit.

- être mastiqué, se retirer de la terre pour la mordre ensuite, se retirer et mordre encore et prendre avec soi le rivage, pour le laver et revenir, toujours, toujours, vivre en ressac, en flottement, en reflet, en homme sans fonction, sans volonté, et sans arrêt recommencé.

Devenir rien je ne suis roi

par zeio, dimanche 26 octobre 2014, 14:32 (il y a 3684 jours) @ 411

J'aime beaucoup

Devenir rien je ne suis roi

par Claire @, lundi 27 octobre 2014, 07:58 (il y a 3683 jours) @ 411

oui, moi aussi je me sens vraiment proche de l'émotion de ce poème. Une sorte d'espoir, ou de pressentiment, un accord avec une respiration qui se situe en dehors de soi.

Devenir rien je ne suis roi

par Claire @, lundi 27 octobre 2014, 08:54 (il y a 3683 jours) @ Claire

je dis "l'émotion", mais il y en a plusieurs. Elles sont d'une certaine façon très différentes, mais tout à fait accordées, c'est pourquoi on ressent l'unité du poème.

Devenir rien je ne suis roi

par Florian, vendredi 31 octobre 2014, 12:43 (il y a 3679 jours) @ 411

en somme c'est de la poésie pulsionnelle, qui décortique des pulsions pour en faire un tableau.

Devenir rien je ne suis roi

par veM, samedi 01 novembre 2014, 00:45 (il y a 3678 jours) @ Florian

pourquoi de la poésie "pulsionnelle"
ce qui est décortiqué ici n'Est-ce pas la jouissance de se perdre et d'être emporté dans cette perte comme dans la mer?

Devenir rien je ne suis roi

par Florian, samedi 01 novembre 2014, 12:49 (il y a 3678 jours) @ veM

tu poses une question et donnes la réponse ensuite.

Le doute + Bukowski

par 411, samedi 01 novembre 2014, 15:50 (il y a 3678 jours) @ Florian

J'avoue que moi aussi j'ai eu du mal à piger cette "pulsion" dont tu parles, Florian. Mais effectivement, après relecture, je pressens cette pulsion : pulsion de se libérer de ses pulsions, appel avide d'une tranquillité sans appel, détachée et sans fonction... et finalement une violence intrinsèque, une pulsion, oui. J'ai toujours écrit comme ça, et je reconnais un bon poème à la décharge d'adrénaline qu'il me procure, absolument physique.
Ce paradoxe de la pensée et du corps se retrouve dans l'opposition entre surface et profondeur ; l'écume ayant pour fonction de cacher le fond de l'eau, le reflet de détourner de la pierre. En effet, plus le temps avance et plus je respecte l'affabilité de certaines personne, leur pudeur qui peut être assimilée à de la timidité. L'époque crée des braillards, est propice à l'exaltation du moi, de la différence, à ce "prends-moi comme je suis" qui annihile parfois l'effort d'intégration, ou de groupe. Et comme tout le monde le sait, un être qui s'exalte est un être qui consomme ; et ce qu'on appelle liberté d'être, de penser ou de dire, est en fait un moyen de désorganiser la pensée collective, de fabriquer des électrons libres, séparés du noyau, de l'atome insécable que devrait être l'humanité.
Et comme je l'ai écrit dans un autre texte: si nous doutions tous, nous de douterions pas les uns des autres. - Et ces certitudes sont un mal profond, puisqu'elles s'accompagnent d'une désinformation souvent liée à internet, à toutes ce télés alternatives ou à ces reportages souvent partiaux qui pullulent en ce moment.
On confond savoir et volonté, liberté et conflit, bonheur et plaisir, ou encore partage et propagande... Bref. C'est la merde. Et pour vivre heureux, vivons caché: essayons d'être à ce stade où l'on arrêterait de prouver qu'on a rien à prouver, ou de dire qu'on a rien à dire. Opposons des reflets, même s'il sont changeants. Doutons, doutons. Je pense que c'est ainsi que les courants se rejoindront.

Et je finirai avec ce poème de Bukowski (traduit en français), qui m'accompagne à chaque virée du coeur.


***


je connais une femme
qui continue à acheter des puzzles
chinois
des casses têtes
avec des poulies
des fils
qui finalement s’ajustent
dans un ordre prévisible.
elle y parvient
mathématiquement
elle résout tous ses
puzzles
elle vit près de la mer
elle donne du sucre aux fourmis
et croit
en dernier instance
en un monde meilleur.
ses cheveux sont blancs
elle les peigne rarement
ses dents sont gâtées
et elle porte des choses informes
qui couvrent un corps que beaucoup
de femmes auraient bien voulu avoir.
durant de nombreuses années
elle m’a irrité
avec ce que je considérais être
des excentricités -
comme tremper des coquilles
d’oeufs dans l’eau
(pour donner du calcium aux plantes)
mais finalement quand je pense à sa
vie
et que je la compare à d’autres vies
plus éblouissantes, plus originales
et plus belles
je réalise qu’elle a blessé
moins de gens que
n’importe qui de ma connaissance
(et par blesser je veux simplement
dire blesser).
elle a traversé des périodes terribles,
où j’aurais peut-être dû l’aider
beaucoup plus
car elle est la mère de mon
seul enfant
et jadis nous avons été très amoureux
l’un de l’autre,
mais elle a passé à travers toute seule
comme je l’ai dit
elle a blessé moins de gens que
n’importe qui de ma connaissance,
et si vous prenez ça en considération,
eh bien,
elle a créé un monde meilleur
elle a gagné.

Le doute + Bukowski

par Kel, dimanche 02 novembre 2014, 15:25 (il y a 3677 jours) @ 411

...je crois qu'en poésie -comme ailleurs aussi, à travers la vie- nous sommes pétris de paradoxes, chacun à sa manière...ainsi je me retrouve en partie dans ce qui est exprimé ici, en partie non.