Barbie philosophe. Extrait de : " Dans les silences de la peau"

par Écrire, lundi 17 octobre 2016, 10:20 (il y a 2961 jours)

J'aurai bientôt 20 ans. Il approchait des 45. C'était un homme 45, comme le colt... L'idée m'effrayait un peu et m'excitait, surtout. J'anticipais l'impact intime du masculin intrusif avec une gourmandise fiévreuse. Être une cible et s'en réjouir, c'était une sensation inédite. D'autant que cela entrait en contradiction avec mes affinités féministes. En même temps, il n'y avait là rien de dramatique. Il ne s'agissait pas d'une capitulation définitive à l'ordre patriarcal, mais d'une soumission ludique et ponctuelle à l'impératif érotique. Même si les choses n'étaient pas aussi claires à l'époque, je disposais du moins d'un repère. La séduction impliquait que je me fisse objet. Et bel objet. Aussi proche que possible de l'idéal esthétique incarné par la plastique de mes poupées Barbie. En la matière, la propagande publicitaire nous éduquait précocement. Mais, et en cela j'étais redevable de ma modeste culture philosophique, l'amour nous sauverait de l'enfermement dans les stéréotypes en activant une dynamique de réciprocité. Jean Paul Sartre m'avait rassuré sur ce point. "L'idéal de l'entreprise amoureuse est la liberté aliénée : chacun veut que la liberté de l'autre s'aliène". Ainsi le balancier de l'aliénation ne se fixerait pas sur ma seule personne. Il irait de l'une à l'autre, dans un mouvement égalitaire de bon aloi, favorisant la création continue d'un rapport équilibré, déblayé d'équivoque.

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