un extrait de la suite de mon roman en cours d'écriture.

par dh, vendredi 02 décembre 2016, 10:31 (il y a 2915 jours)

Il y eu d’autres déceptions, d’autres ratages, et les choses allèrent de mal en pis. Non seulement il était de plus en plus isolé et solitaire, mais il renonça bientôt à faire le moindre effort pour sortir de cette situation. Au début de l’année, une connaissance rencontrée par le biais d’un forum de poésie lui conseilla de prendre régulièrement de la codéine, molécule dérivée de la morphine, afin d’apporter un peu de relief à son terne quotidien. L’ami en question le prévint que cette drogue était violemment addictive, lui conseilla de ne prendre que quelques cachets de temps en temps, et de ne pas en consommer trop souvent. L’effet produit, selon lui, était un sentiment de détachement agréable, océanique, comparable à ce qu’éprouve le fœtus dans le ventre de la mère. Bien que les premiers essais aient été décevants, Karma commença à apprécier cette sensation. Le soir en rentrant de son travail, il buvait une bière fortement alcoolisée accompagnée de quatre ou cinq cachets de Compralgine, en plus de son traitement habituel, puis se laissait lourdement tomber sur son canapé pliable, attendant que son esprit se dissolve en d’agréables rêveries. Il aimait alors particulièrement mettre un disque du saxophoniste Jan Garbarek, dans lequel celui-ci était accompagné d’un quatuor vocal reprenant des chants du répertoire préclassique. La froideur de cette musique, sa solennité, les envolées lyriques de Garbarek sur le ciel gris des harmonies subtiles développées par le Hilliard Ensemble donnaient à Karma l’impression de s’envoler lui-même, tel un oiseau navigant dans les courants aériens. Il perdit bientôt la notion du temps, évoluant à peu près en permanence dans un univers cotonneux et feutré. Au bout de plusieurs mois de ce régime, son aspect physique s’était fortement dégradé. Il ne se rasait plus, ne coupait plus ses ongles et n’allait plus chez le coiffeur. Son hygiène devint plus que douteuse. Autour de lui les gens continuaient à s’agiter et le regardaient avec suspicion, mais il se sentait en quelque sorte séparé de la réalité par une mince paroi invisible. Son appartement devint bientôt un chantier dégoûtant encombré de détritus, de sacs poubelles, de moisissures, sans qu’il s’en aperçoive vraiment. Peut-être était-ce cela, pensa-t-il, la fameuse négation de la volonté dont parlait Schopenhauer, à la suite des brahmanes. L’avenir lui était devenu une notion abstraite, il vivait au jour le jour, sans projet ni attente.

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