Pour Claire: Un petit morceau de mon roman en cours
JE TE REGARDE NOUS TE VOYONS
Je la regarde. Je la regarde avec force, avec rage, avec acharnement. Et sans ciller. Elle est allongée devant moi, à un mètre tout au plus ; ses fesses la font souffrir, son dos, ses jambes, son coeur, ses reins, ses bras, son cou, sa bouche, ses tempes, son ventre, le temps lui-même. Chacun de ses souffles est un gemissement, ses jambes sont gonflées, la petite chemise d’hôpital cache mal un corps vieux et usé. Je la regarde pour imprimer au mieux les plis de sa peau, ses traits de visage, intensément toujours, et plein de gravité, plein de pesanteur. Je repense à la fête, à l’agitation, à la vitesse, et me dis qu’un concert de rock me rend infiniment moins vivant que ce regard porté sur un être en fin de voeux, et qui ne le sait pas, et qui se force à ne pas le savoir. Alors elle parle de projets, elle se tourne vers, à défaut de pouvoir bouger. Quelque chose en elle reste une force en marche, reste un nerf vibrant, reste un air vivant, un quelque chose, quoi, du bruit. Je la regarde, je la regarde et je la vois. Respire à ses côtés. Lui parle de choses et d’autres. De temps en temps, une infirmière passe, blanche et souriante, et alors elle sourit elle aussi, d’un air de petite fille, puis grimace au passage des antibiotiques dans sa veine gonflée, puis ferme les yeux et gémit à la manière d’une question posée à l’après-monde. A l’après-corps, à l’après-chair. Ma grand-mère est à l’aube d’une nuit très longue et la voici étoile, mort lumineuse, incendie passé. Cet être se fissure, se désagrège, sa nudité ne me choque plus mais je veux penser à son image de conquérante, je veux penser à ses pensées, je veux voir ce qu’elle voit, je veux m’agréger à son courage, à sa volonté, à sa sagesse malmenée. Comment aimer la vie dans la douleur? Comment vouloir rester un corps qui n’en peut plus, une viande maigre? Je la regarde depuis des siècles. Je la regarde jusqu’au débordement, je la bois, je l’inspire, je la mange par les yeux comme on a l’amour qui perce. Je suis à deux secondes de pleurer, ou de devenir fou, ou peut-être de finir homme le plus calme de la terre. Je te regarde et mon coeur est en morceaux, et mon esprit est rassemblé, dirigé droit sur toi, précis dans sa hauteur inesperée, élevé malgré la pesanteur terrible. De l’espoir ! de l’espoir ! vite ! de l’ardeur ! un terrain neuf où chasser le chagrin !
je me régale et de ton coeur
et de ton cou et de ta peur
et de ton âme ultramarine
et de ta voix de tes racines
je suis
Je la regarde. Je la regarde avec force, avec rage, avec acharnement. Et sans ciller. Elle est allongée devant moi, à un mètre tout au plus ; ses fesses la font souffrir, son dos, ses jambes, son coeur, ses reins, ses bras, son cou, sa bouche, ses tempes, son ventre, le temps lui-même. Chacun de ses souffles est un gemissement, ses jambes sont gonflées, la petite chemise d’hôpital cache mal un corps vieux et usé. Je la regarde pour imprimer au mieux les plis de sa peau, ses traits de visage, intensément toujours, et plein de gravité, plein de pesanteur. Je repense à la fête, à l’agitation, à la vitesse, et me dis qu’un concert de rock me rend infiniment moins vivant que ce regard porté sur un être en fin de voeux, et qui ne le sait pas, et qui se force à ne pas le savoir. Alors elle parle de projets, elle se tourne vers, à défaut de pouvoir bouger. Quelque chose en elle reste une force en marche, reste un nerf vibrant, reste un air vivant, un quelque chose, quoi, du bruit. Je la regarde, je la regarde et je la vois. Respire à ses côtés. Lui parle de choses et d’autres. De temps en temps, une infirmière passe, blanche et souriante, et alors elle sourit elle aussi, d’un air de petite fille, puis grimace au passage des antibiotiques dans sa veine gonflée, puis ferme les yeux et gémit à la manière d’une question posée à l’après-monde. A l’après-corps, à l’après-chair. Ma grand-mère est à l’aube d’une nuit très longue et la voici étoile, mort lumineuse, incendie passé. Cet être se fissure, se désagrège, sa nudité ne me choque plus mais je veux penser à son image de conquérante, je veux penser à ses pensées, je veux voir ce qu’elle voit, je veux m’agréger à son courage, à sa volonté, à sa sagesse malmenée. Comment aimer la vie dans la douleur? Comment vouloir rester un corps qui n’en peut plus, une viande maigre? Je la regarde depuis des siècles. Je la regarde jusqu’au débordement, je la bois, je l’inspire, je la mange par les yeux comme on a l’amour qui perce. Je suis à deux secondes de pleurer, ou de devenir fou, ou peut-être de finir homme le plus calme de la terre. Je te regarde et mon coeur est en morceaux, et mon esprit est rassemblé, dirigé droit sur toi, précis dans sa hauteur inesperée, élevé malgré la pesanteur terrible. De l’espoir ! de l’espoir ! vite ! de l’ardeur ! un terrain neuf où chasser le chagrin !
je me régale et de ton coeur
et de ton cou et de ta peur
et de ton âme ultramarine
et de ta voix de tes racines
je suis