Xanax
J'ai avalé, pour la première fois de ma vie il y a quelques semaines, un cachet de xanax. Étant un grand anxieux, j'aurais pu y songer avant. À vrai dire, l'occasion m'a été offerte de manière indirecte, les cachets ne m'étant pas destinés. Ils ne me sont pas destinés, mais alors pas du tout, rien de rien. Il se trouve que je suis si anxieux que l'idée même d'avaler un anxiolytique me remplit d'angoisse. Que ferais-de mon être angoissé si, par malheur, l'angoisse venait à toucher un point de terminaison, s'évaporer en scintillant dans les nuages, que sais-je ? Fini, l'être angoissé. Terminé. Comment ? J'ai avalé le cachet car, le lendemain, un événement de nature sociale devait avoir lieu, lequel me rendait anxieux, pour la simple et bonne raison sans doute que j'aurais à parler de façon conséquente, exposer une opinion sur un sujet, apporter une solution à un problème quelconque, discuter de projets pour le moins mystérieux, nez à nez avec une ou plusieurs personnes, discuter de choses qui ne me concernent pas véritablement, si tant est que quoi que ce soit de ce monde me concerne d'une manière ou d'une autre. Je ne saurais dire si le cachet produisit son effet, il me semble que oui, j'en suis certain, diminution de l'émotivité, rythme cardiaque ralenti, stabilité, confiance. Tout bien pesé, un grand anxieux comme moi risquerait de tomber accroc au xanax, pourtant il n'en est rien, je n'ai pris que deux cachets supplémentaires depuis lors, à l'occasion d'événements similaires, aujourd'hui je n'en ai plus qu'un seul, que je garde avec moi précieusement, au cas où une puissante crise d'angoisse pointerait le bout de son nez. À ce propos, plusieurs crises d'angoisses ont pointé le bout de leur nez depuis, mais je ne me suis pas décidé à prendre le cachet. Je ne veux pas consumer le dernier cachet en ma possession dans le cas d'une angoisse qui ne déploierait pas ses ramifications le long de mon réseau de nerfs, depuis le bout de mes orteils jusqu'au lobe frontal, plus loin encore, jusqu'au falafel empalé au bout de ma fourchette, ou la souris d'ordinateur tenue en main pour avancer dans mon travail, jusqu'au plafond, jusqu'à crever le plafond. Fuser à travers le ciel tel un météore, carburant à l'angoisse suprême et magnanime. Ça non, vous pouvez inscrire ceci en toutes lettres au-dessus des miroirs de vos salles de bain, je ne consumerai pas le dernier cachet béni de xanax en ma possession pour étouffer une satanée crise d'angoisse, aussi extravagante soit-elle. Le fait est que j'y tiens à cette angoisse, dans le cas contraire elle aurait décampée depuis longtemps. J'y tiens comme on tient plus à ce chien sauvage et rétif à la domestication, plutôt qu'au caniche tout juste shampouiné qui ne sert à rien; à un fauve, résidus d'époques antédiluviennes, ersatz de ces moments où l'on craignait que surgisse d'un arbre une panthère nébuleuse arboricole qui n'a rien d'un koala. Soyez bénie chère anxieté, que votre règne se perpétue, que votre volonté soit faîte en la terre comme au ciel, pardonnez mon offense, je ne toucherai plus au xanax ! À ce sujet, où est-il, ce foutu cachet, il doit m'en rester un quelque part. Il ne peut en être autrement.