Exercice de sincérité

par Écrire, dimanche 05 mars 2017, 20:20 (il y a 2821 jours)

Fut un temps où j'exerçais l'activité évanescente d'enfant idéal. La vérité s'était installée dans ma bouche. Elle parlait l'innocence, apanage fragile de la minorité. Mes parents s'amusaient de mon style directe et sans fioritures. En même temps, ils me rappelaient à l'ordre de la politesse formelle. Non, on ne montre pas du doigt les poils qui dépassent des narines du quinquagénaire négligent. Non, on ne s'exclame pas : maman, regarde, le monsieur a des seins, en croisant un sportif du dimanche effectivement doté de glandes incongrues qui ballotent sous son traîtreux maillot. Non, on ne s'étonne pas à voix haute qu'un usager ait pété dans le bus, même si les témoins expérimentent l'impact olfactif du méfait gazeux. Non ! Non ! Non ! Peu à peu, la société des adultes deviendrait lisible. Un de ces jours, j'accéderai à cette nature seconde qui signale une éducation aboutie. Alors, (mais il n'y aurait plus personne pour le déplorer), le mensonge altruiste et la retenue polie ne se distingueraient plus de la roucoulade postiche ou de la mystification intéressée... Les innombrables ressorts trompeurs du langage joueraient dans ma bouche avec une désarmante spontanéité.

Au constat, l'élévation seule ne garantit pas une vie bonne dans un monde mauvais. Il convient donc d'acquérir quelques salutaires bassesses et de revoir ses aspirations en conséquence. Une existence moyenne, des amours passables, des goûts à la mode... Un salaire minimum de croissance négative. Et puis, comme nous le répètent volontiers les adeptes de la comparaison avantageuse, l'aubaine de respirer dans une contrée libre, exempte de catastrophes naturelles, d'atrocités massives, de famines et de bombardements .

La vérité me visiterait peut être de temps à autre, comme une ancienne amie qui a consenti un périlleux voyage dans le but insensé de vous retrouver. J'éprouverais bien de la peine à la reconnaître. Elle tenterait en vain de percer mes masques pour renouer avec une clarté jadis familière. Elle sonderait l'enfance du cœur, mais au lieu de son battement allègre, ne dénicherait qu'un vague et veule gargouillis. Percevrais-je au moins l'ampleur de son chagrin lorsqu'elle réaliserait que je suis mort en vérité ?

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