Cubique
Si je n’étais pas victime de la paresse propre aux êtres confortés, voilà longtemps que j’aurais mis au jour un long recueil de poèmes, un livre, un travail digne de ce nom. Mais voilà, le temps que je me plaigne de cette carence dont je suis l’objet et le sujet, et dont je suis approximativement le seul responsable, au fond, des minutes ont déjà passées, sans que rien de valable n’ait été couché sur mon écran LCD. Je tiens à signaler au Dieu de la création que c’est faute d’essayer et, comme le disait Kafka, c’est avec un plaisir non dissimulé que je me précipite dans les ronces, afin d’expier une faute que j’ignore. J’ajouterais : que j’ignore à bon escient, le tout dans cet acte étant d’être capable de trouver le plaisir dans les échardes et les disparitions. La faute est malléable et secondaire. Je pourrais aussi accuser ma mauvaise mémoire, mais n’est-ce pas Michaux qui disait que celle-ci a sa raison d’être, sans doute ? Et Beckett, pourquoi donc a t-il affirmé qu’une efficace mémoire programmatique ne vaut pas grand chose, à côté des oublis de ceux qui sont sujets à la mémoire hasardeuse, involontaire ? J’envie ceux qui sont en mesure, chaque jour, de retrouver les outils là où ils avaient été laissés la veille, comme si aucune rêverie ni aucune distraction entre-temps n’avait rebattu les cartes. Il me faut donc reprendre au commencement le travail chaque jour, tel un autre Sisyphe plus absurde que Sisyphe lui-même, ayant perdu le don de la méticulosité, et la cale pour son rocher cubique.