Alzheimer et ses médocs

par Rémy @, lundi 06 mars 2017, 21:49 (il y a 2820 jours) @ Claire

C'est bien, si on arrive à lui éviter la dépression. Les points de repère comme les chansons, c'est à double tranchant : tant qu'elle s'en souvient, ça l'aide, mais ça lui fera d'autant plus mal le jour où eux aussi disparaîtront... C'est une chance qu'elle compense par des ruses. Envoie-lui mes pensées musiciennes, inconnûment.

Quand ce sera mon tour, je veux de la joie plutôt que de la longévité, n'hésitez pas à me shooter massivement, et tant pis pour mes derniers neurones.



Je ne sais pas si je vous ai raconté la dernière fois que je suis allé voir ma grand-mère à Tulle ? J'avais emporté mon accordéon, et la bigote du coin l'a vu, et elle m'a demandé de jouer à la messe - mais Madame Texeira, que voulez-vous que je joue, une valse ou une polka ? Ooooh vous trouverez bien quelque chose, je vous fais confiance. (J'ai joué une chanson russe.) Du coup j'ai assisté à la messe à l'hospice. Allez savoir pourquoi, la directrice mène bataille contre les cathos, et du coup, la salle de religion est beaucoup trop petite, et évidemment encombrée à ras-bord de fauteuils roulants. Les gens qui sont assis dedans - peut-on seulement encore parler de gens ? Ce sont des corps, tout au plus : ils ne bougent pas, regardent dans le vide, ne parlent pas, ne réagissent pas, rien, l'esprit n'est plus là, c'est par pure convention qu'on décide qu'une âme est encore cachée dedans. La messe se déroule en leur présence absente. Et puis vient le Notre Père, et là, miracle, les mots remontent du fin fond de leur enfance, et avec eux la voix, ils parlent, on les comprend même, donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Amen. Et puis ils s'éteignent de nouveau, jusqu'à la semaine prochaine.
Le curé, enfin, ce n'est qu'un aide-curé, qui n'a pas l'air bien dégourdi, du coup il n'a pas l'idée de bousculer la liturgie, oh, si peu, pour enchaîner sur un Je vous salue Marie, qui prolongerait peut-être leur minuscule état de grâce, ou ne serait-ce que pour répéter le Notre Père, non, il fait comme il faut faire, pour les siècles des siècles, sans pitié ni charité ni compassion ni même la moindre gentillesse. Et le texte de cette prière, les derniers mots qu'ils peuvent encore dire ! Ne nous soumets pas à la tentation, mais à quelle tentation le "bon" dieu pourrait-il bien les soumettre ? Et pardonne-nous nos offenses, qu'il a déjà vengées mille fois en les réduisant à cet état pitoyable. Ça m'a tout retourné.

Mais que saurons-nous encore dire quand ce sera notre tour ? Pourquoi ne nous a-t-on pas emmenés, enfants, voir ça, pour ensuite nous faire répéter en chœur toutes les semaines la Déclaration des Droits de l'Homme, pour préparer nos interminables dernières heures, et que nos dernières paroles ne soient pas si misérablement à côté de la plaque ?

Moi vous me chanterez c'est la p'tite poule brune, qu'avait pondu dans la lune. Et mettez-y du cœur et de l'œuf tout chaud, SVP.

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