au feu

par c., mardi 11 novembre 2014, 16:49 (il y a 3668 jours)

dans l'angle noir de la pièce tu trafiques les fils électriques
avec un mauvais sourire ta barbe sombre me dit que tout va brûler
attachée sur la chaise de bois où je me démaquille tous les soirs
le ruban collant me garde de te parler et contient tous mouvements
tu arrêtes tes gestes concentrés pour me regarder
et dans tes yeux apparaissent des lames de couteaux glacés
tu éclates de rire devant ma panique
les larmes me piquent les yeux et dans mon brouillard
je supplie silencieusement d'être violée plutôt que de mourir impuissante
tu me dis que tu réalises ton rêve et que je suis toujours ta femme
mais cette fois-ci je ne pourrai pas me sauver ni me suicider
tu répands le bidon d'essence sur le sol puis sur moi
dans ton rire fou tes dents s'allongent et tout de toi sent la mort
j'essais de me calmer et je réalise que j'aie toujours su
ton désir profond de m'abolir était ce que tu ne te fais pas à toi
tu te penches sur les fils électriques et les mets en contact
les étincelles crépitent et aussitôt les flammes bleues oranges courent
elles dansent vite et prennent ton corps et tu paniques et cries
je balance la chaise sur le côté et m'assomme à moitié
il me reste combien de temps pour déplacer mon corps et le poids de la chaise ?
pendant que tu hurles et crames en te secouant
il me vient à l'esprit que le feu va au diable comme un habit
et je me demande comment éteindre ce rêve
si je t'ai quitté il y a dix ans la terreur elle ne m'a jamais quittée


assise au bord du lit j'essaie d'arrêter mes tremblements
j'écoute le silence de l'appartement
j'entends les lentes respirations de mes enfants
ils dorment paisibles
je fume deux cigarettes l'une après l'autre
en m'arrachant l'invisible ruban collant
je voudrais crier, crier de rage, de rage contre moi-même
il est trois heures du matin
les ombres des branches d'arbres dansent au plafond
couchée sur le dos j'éteins la troisième cigarette
dans ma tête une phrase revient sans arrêt : j'aurais dû mourir
et la honte me cuit : l'envie du meurtre est une longue dévoration.
c'est cette envie qui est mon cauchemar.

au feu

par zeio @, mardi 11 novembre 2014, 17:51 (il y a 3668 jours) @ c.

Le poème est authentique, vif, puissant. Son rythme, hors d’haleine, qui serre la gorge, le cœur… que dire

au feu

par c., mercredi 12 novembre 2014, 02:23 (il y a 3667 jours) @ zeio

(arrête j'ai peur) ;)

au feu

par Ecrire, mardi 11 novembre 2014, 21:19 (il y a 3668 jours) @ c.

Excellent texte, Catherine. Le lecteur tombe de sa chaise mais y reste scotché.

au feu

par c., mercredi 12 novembre 2014, 02:25 (il y a 3667 jours) @ Ecrire

Merci Jean-Michel !

au feu

par Claire @, mercredi 12 novembre 2014, 12:13 (il y a 3667 jours) @ c.

Oui, c'est une texte très fort, avec ses deux volets, ses deux scènes.
Il m'a rappelé ce que j'ai entendu récemment : pour surmonter un traumatisme on a besoin de passer de la passivité à l'activité...il y a des gens pour lesquels le seul chemin est le meurtre ou le suicide.
Heureusement, il y a souvent bien d'autres voies.

au feu

par c., mercredi 12 novembre 2014, 14:55 (il y a 3667 jours) @ Claire

oui (je sais pour l'avoir vécu et le vivre, l'activité transforme). mais le but du texte n'est pas la thérapie, le texte n'est pas thérapeutique. ..ou peut-être l'est-il mais je ne tiens pas à m'y arrêter, m'y arrêter m'empêcherait d'écrire — l'analyse paralyse, dit-on...





je suis dans un passage, un long passage sans écrire. devant et derrière, un interminable corridor s'étire dont les parois parralèlles enfilent une multitude de portes donnant la sensation d'avancer continuellement dans un hôtel sombre et désert. il y règne un silence perpétuel où j'entends plus fort que je ne le devrais mon souffle et les battements de mon coeur. mille portes à ouvrir, ou à passer. il y avait d'abord eu la porte de la colère et de l'écrire noir sur noir, celle de la douleur et des chagrins, la porte du Nord et des banquises, la porte de pierre et la chambre des tresses, la porte des éons, puis celle du relatif, puis encore, celle du subjectif-relatif, la chambre des épurs et la porte de la distanciation. puis il y a eu la chambre de musique et des chuchotements, celle du beau, celle de la justesse puis la chambre de mémoire, de l'intimé extimé, de la beauté de la laideur, la porte du diffus et l'antichambre flou, la porte de l'unication, celle de la nudification, la porte toute crue, la porte violée, la porte de tison, la porte de bois et la chambre de Forêt et son jardin des fourrures. puis j'ai beaucoup rêvé dans la chambre métaphysique, la chambre psychique, la chambre de réflexion, pour ensuite ouvrir la porte d'eau et la chambre des rivières, puis il y a eu la chambre des falaises et des chemins longeant quelques précipices, la chambre d'ondes, la chambre des rêves, la porte de Mai et Juillet, la chambre d'Octobre le rouge où je suis longtemps restée, la porte d'hiver et la chambre de Neige où je retourne attendre son arrivée, puis la chambre des tableaux... puis encore celle d'Orphée, la chambre d'Euridice, puis celle de Persephones, et récemment, la chambre des concerts. j'en passe plusieurs, j'en nomme trop sans doute, mais je pense avoir parcouru quelques étages, et me trouve devant une porte... la porte du Monstre et de la terreur. je ne sais pas pourquoi j'arrive devant cette porte maintenant, mais j'ai appris que la seule chose qui me permettre de "sortir" d'une de ces chambres et d'en refermer la porte est d'y entrer, d'en faire le tour minutieusement, et d'y écrire jusqu'à épuiser la chambre. ou .. m'épuiser moi-même.

intéressant message. merci.

par dh, mercredi 12 novembre 2014, 18:08 (il y a 3667 jours) @ c.

william james reprend exactement la même métaphore du couloir d'hôtel avec les portes dans son livre sur le pragmatisme.

intéressant message. merci.

par cat, mercredi 12 novembre 2014, 19:21 (il y a 3667 jours) @ dh

ha! je ne savais pas du tout, faudra que je mette la main dessus et les yeux dedans :)