un article intéressant ?

par Kel, mercredi 12 novembre 2014, 02:25 (il y a 3667 jours)

sur : http://www.le1hebdo.fr/numero/30/le-pome-du-management-et-de-la-mort-502.html

(trouvé via http://rezo.net/ )

"Le poème du management et de la mort"

(Pacôme Thiellement)


La vie d’une langue ne dépend pas de ceux qui la parlent mais de ceux à qui elle s’adresse. Elle est d’abord une maille pour attraper les êtres invisibles, un masque à pensées et une boîte à rêves. À la source de chaque langue, il y a sa relation avec la « langue des ­oiseaux », c’est-à-dire la façon dont elle entre en relation avec d’autres états de notre être – ceux que l’on appelle les Anges. Et tous les poètes parlent la « langue des oiseaux », qui est parfois la simple découverte d’un rythme ou d’une syntaxe émotive inédite. Toute parole poétique, comme tout amour, est un passage vers l’au-delà.

Ce n’est pas son mélange avec les autres langues qui appauvrit le français ; même avec l’anglais des films et de la musique pop. C’est sa contamination par le langage de l’entreprise, le jargon des publicitaires et politiques, la langue de l’information et de la communication. Ce qui tue une langue c’est son usage « de communication », c’est sa volonté d’être « comprise » à tout prix, son obsession à pénétrer dans le cerveau de son interlocuteur. Cette langue-là, qu’on voit à l’œuvre dans n’importe quel débat d’idées, on peut la haïr comme un viol, parce qu’elle ne s’adresse qu’à ce qui nous rabaisse. Elle ne nous perçoit que comme de la viande à voter, acheter, payer le prix fort et recommencer. Et on ne peut jamais lui répondre, puisque c’est à cet usage polémique qu’elle cherche toujours à nous rabaisser. C’est comme les oiseaux mécaniques qui pourrissent la vie du président Schreber : ça ne sert à rien de les insulter ou de les frapper ; le névropathe doit leur répondre par d’étranges variations homophoniques pour qu’ils se taisent – qu’ils se taisent, enfin. On doit faire pareil avec les managers, les publicitaires et les experts : seule l’interruption poétique pourra mettre fin à leur règne. On doit les tuer par un mystère qui les enferme et les dépasse. Qui écrira enfin Le Poème du management et de la mort ?

On dit que les hommes d’autrefois, menés par Nemrod, le roi-chasseur, avaient construit une tour pour accéder au ciel. Le démiurge la détruisit ; et de cette destruction provint la multiplicité des langues. Franz Kafka et Raymond Abellio ont tous deux parlé de la fosse de Babel. Mais le monde de la communication et du management nous apprend que Babel n’est ni une tour ni une fosse. C’est une plateforme – et c’est sur la plateforme de Babel que nous marchons tous aujourd’hui, priant pour qu’un démiurge revienne afin de la mettre en pièces une bonne fois pour toutes.

Car on ne meurt ni dans l’unification titanesque des Anciens, ni dans la dissémination des Modernes. On meurt dans la langue aplatie des ministres et des hommes d’affaires, des technocrates et des chroniqueurs télévisuels. Une langue que tout le monde parle, mais que personne n’écoute.

un article intéressant ?

par zeio @, mercredi 12 novembre 2014, 02:49 (il y a 3667 jours) @ Kel

Amusant, j'étais aussi tombé sur ce texte il y a 5mn. Je trouve ça plutôt juste, des tournures et images sont bien trouvées... La langue des oiseaux, bon, la langue cui-cui donc, c'est un peu guimauvesque dit comme ça, mais après tout...il y a quelque chose de ça, de la langue animale, qui change de la langue des robots... La pub, les politiques, les entreprises comme cibles, c'est le marxisme qui roucoule. Il veut mettre fin au règne, mais alors, tout le monde parlera la langue des rouge-gorges. Ce règne n'aura jamais de fin, il ne date pas d'hier ni de l'essor du "management", il date depuis toujours, simplement parce que la majorité des hommes n'est pas en mesure d'entendre la langue des volatiles, encore moins de l'exprimer. Reste que, en effet, et c'est là que je trouve le texte plutôt juste, il s'agit d'attaquer cette langue pourvoyeuse de mort, c'est l'intention de la poésie et de la bonne littérature, pourtant la fin du règne de la langue morte ôterait à cette bonne littérature sa raison d'être, elle n'aurait rien contre quoi lutter, le lierre n'aurait plus de mur à grimper, les coquelicots n'auraient plus le purin qui leur sert d'engrais...

presque le même débat :

par Claire @, mercredi 12 novembre 2014, 10:56 (il y a 3667 jours) @ zeio

sur un autre forum (plus ou moins manséïste), un débat très proche qui est parti d'une interview de Murat...il y a même Babel : Toutes choses

presque le même débat :

par dh, mercredi 12 novembre 2014, 13:10 (il y a 3667 jours) @ Claire

à lire, sur le même sujet :

l'effondrement de la tgbnf

par jm mandosio

éditions de l'encyclopédie des nuisances

un article intéressant ?

par Kel, mercredi 12 novembre 2014, 12:40 (il y a 3667 jours) @ zeio

Je ne sais pas... Mais il me semble que Marx est très loin de tout ça aujourd'hui, et puis quand on prononce Marx on signifie Staline, il y a des connections automatisées qui coupent court quand on évoque l'état de déliquescence et de torture où nous nous trouvons dommage mais bon. Il semble pourtant assez clair maintenant le projet que l'avenir nous dessine, suffisamment précis. En tous cas je parle de ma perception des choses. Le texte parle de la langue véhiculée par le technocrate, l'expert, le manager, qui s'immisce en chacun de nous par idées et concepts, dont la pub est un des véhicules c'est vrai, et pose la question comment y mettre fin, à cette langue froide, mortifère, absurde, grotesque et morbide, porteuse de mort générale. Nous aussi sommes au coeur d'un système pétri de féroce idéologie, sous couvert de "liberté" dont le socle est cette idée de plateforme.

un article intéressant ?

par zeio @, jeudi 13 novembre 2014, 00:20 (il y a 3666 jours) @ Kel

Tout ce qu'il y a faire c'est souffler un peu de musique, pour faire danser la grande machine de la mort.