La bénédiction
Elle se trouve ici pour saboter le parcours, elle attend le faux pas, la chute, la faillite, elle guette. Des pièges ont sans doute été semés sur ma route, elle en connaît les emplacements. Elle n'est pas sujette au moindre doute à ce sujet, je tomberai ce jour ou le suivant, on retrouvera mon corps sur la chaussée, dans la foule qui fera cercle autour de ma dépouille, et nous n'entendrons dès lors rien d'autre que le silence. On n'entendra plus parler de moi. En voilà de drôles d'idées. Et peut-être est-ce tout le contraire. La femme à la griffure de chat sur la gorge. Celle-là même qui porte sur elle un manteau de fourrure synthétique de couleur crème, qui me fixe des yeux sans laisser voir le moindre signe de tristesse ou de rage, c'est la neutralité absolue de son visage qui m'obsède, au fond. Ai-je reçu d'elle une bénédiction que j'ignore ? Attend-t-elle de moi que j'accède au sommet recherché… Je pourrais provoquer une réaction de sa part, mimer une chute, m'aplatir sur les marches, menacer un suicide. Avouer faussement ma défaite. Mais c'est tout juste si j'ose la regarder, sa torpeur me déroute, sa placidité perturbante, je ne serai plus en mesure de marcher encore bien longtemps dans de telles conditions. La foule passe encore, mais elle ? Pourtant, il faudra faire avec. Je ne peux plus faire sans. Le point d'arrivée est peut-être situé en-dehors de mon champ de vision. Il ne peut pas être aussi haut que je l'imagine. Impossible. Je mise un jeton, un nuage tout au plus, un nuage chargé de pluie, que dis-je, ma vie tout entière.