L'archiviste
L’archiviste
C’était un quartier sans histoires. Pas endormi, studieux plutôt, mais sans histoires. Ou une histoire qui n’était pas la sienne
Il m’avait dit : -« Ici, il y a très longtemps – il pensait : très très longtemps, avant les hommes peut-être- il devait y avoir de grands arbres , et chez moi c’est le désert»
Dehors il disait aussi, et sans fierté - c’était presque sur le ton de l’aveu- qu’il travaillait dans une bibliothèque. Comme pour s’excuser à l’avance de toute déception provoquée chez qui penserait de lui autre chose de ce qu’il se sentait vraiment, il avait cru devoir ajouter : « Je suis archiviste » et précisant que lui-même ne lisait jamais rien, qu’il passait plus de temps dans les escaliers et les couloirs que dans les rayons, se disant qu’il gardait une sorte de troupeau « … tous ces livres, je les adore, je les serre contre moi, mais je me garde de les ouvrir. Tout est là … » et il posait la main sur le bas de la cuisse vers un genou dont il aurait été fier comme s’il avait été savant
Il disait « … des livres, des livres, de bas en haut, et tout au fond encore des livres. Sur les tables aussi. Et moi qui en apporte d’autres ! Ça me dépasse ! … Comprendre que par-dessus le marché tout n’a pas été dit. Comme s’il y avait un sens caché. Toujours le lecteur approche la lumière un peu plus près. Je suis dans une forêt… Et ces lignes, quelque part, m’abritent… Il faut archiver, car d’autres vont arriver, encore »
Il disait … « tout ici est relié »
Le Directeur décida. – « Il devra partir » . Il savait que quitter serait pour lui plutôt une petite mort qu’une renaissance à l’air libre, mais il lui faudrait oublier. Et il avait précisé à ses collaborateurs – « vous n’avez en aucun cas de disposition à prendre pour son avenir immédiat »
- Il faudra oublier, tout ça, ici
Il demanda si la nuit, ici, c’était le même silence. Il demanda quel genre de pigeons, érudits ou voyageurs, habitaient dans les combles
- Tu dois t’effacer. Il faut oublier, tout ça, ici
Et je retins la question qui me brûlait les lèvres mais dont je savais par avance la réponse exprimée sans plus d’émotion que de conviction « Est-ce que tu sauras faire, tu vas t’en sortir ? »
(travail d'atelier d'écriture, sur un tableau choisi au hasard, dans la galerie de la librairie de mon village)
C’était un quartier sans histoires. Pas endormi, studieux plutôt, mais sans histoires. Ou une histoire qui n’était pas la sienne
Il m’avait dit : -« Ici, il y a très longtemps – il pensait : très très longtemps, avant les hommes peut-être- il devait y avoir de grands arbres , et chez moi c’est le désert»
Dehors il disait aussi, et sans fierté - c’était presque sur le ton de l’aveu- qu’il travaillait dans une bibliothèque. Comme pour s’excuser à l’avance de toute déception provoquée chez qui penserait de lui autre chose de ce qu’il se sentait vraiment, il avait cru devoir ajouter : « Je suis archiviste » et précisant que lui-même ne lisait jamais rien, qu’il passait plus de temps dans les escaliers et les couloirs que dans les rayons, se disant qu’il gardait une sorte de troupeau « … tous ces livres, je les adore, je les serre contre moi, mais je me garde de les ouvrir. Tout est là … » et il posait la main sur le bas de la cuisse vers un genou dont il aurait été fier comme s’il avait été savant
Il disait « … des livres, des livres, de bas en haut, et tout au fond encore des livres. Sur les tables aussi. Et moi qui en apporte d’autres ! Ça me dépasse ! … Comprendre que par-dessus le marché tout n’a pas été dit. Comme s’il y avait un sens caché. Toujours le lecteur approche la lumière un peu plus près. Je suis dans une forêt… Et ces lignes, quelque part, m’abritent… Il faut archiver, car d’autres vont arriver, encore »
Il disait … « tout ici est relié »
Le Directeur décida. – « Il devra partir » . Il savait que quitter serait pour lui plutôt une petite mort qu’une renaissance à l’air libre, mais il lui faudrait oublier. Et il avait précisé à ses collaborateurs – « vous n’avez en aucun cas de disposition à prendre pour son avenir immédiat »
- Il faudra oublier, tout ça, ici
Il demanda si la nuit, ici, c’était le même silence. Il demanda quel genre de pigeons, érudits ou voyageurs, habitaient dans les combles
- Tu dois t’effacer. Il faut oublier, tout ça, ici
Et je retins la question qui me brûlait les lèvres mais dont je savais par avance la réponse exprimée sans plus d’émotion que de conviction « Est-ce que tu sauras faire, tu vas t’en sortir ? »
(travail d'atelier d'écriture, sur un tableau choisi au hasard, dans la galerie de la librairie de mon village)