Ma récitation
On aime bien aller à l’école. Surtout l’hiver. On marche dans la neige.
Nos doigts sont gelés. On tue les oiseaux dans leur nids pour qu’ils ne
souffrent pas du froid. Quand on arrive à l’école on place nos godasses
mouillées autour du poêle. On regarde la flamme rouge qui nous dessine
des serpents sur la figure. On étend nos manteaux. On se sent fier sur nos
bancs parce que la chaleur coule dans notre corps jeune et puissant. On ouvre
nos cahiers avec de jolies taches d’encre violette. Nous avons une maîtresse.
Elle s’appelle mademoiselle Lecertois. Elle s’habille d’une façon très
coquette. Nos parents la critiquent parce qu’elle s’habille trop bien pour
faire l’école. Elle écrit au tableau des phrases profondes que nous devons
méditer. Moi, je les comprends. La maîtresse me fait monter sur l’estrade
et j’explique les phrases à la classe entière. Je hume aussi le parfum de
mademoiselle Lecertois quand elle me félicite. Elle sent bon le rouge à
lèvres. On fait aussi du calcul. Là, je laisse les autres répondre car je dis
des bêtises. Dans la cour de récréation, l’hiver, on fait des glissades
sur la neige. Les filles tombent plus souvent que nous. En jouant au
ballon, on fait exprès de lancer le ballon dans les vitres du bureau du
directeur. C’est un vieux hibou avec un nez d’aigle. Il porte un béret
pointu comme une torpille. Quand mademoiselle Lecertois est malade,
il la remplace, il nous soulève par les cheveux et frappe nos mains
avec une règle en fer. Une fois, j’ai consolé une fille parce qu’elle pleurait.
Je la consolais beaucoup dans les coins tranquilles de la cour de récréation.
Un jour nous nous sommes disputés. Maladroitement j’ai tiré sur sa boucle
d’oreille, son lobe s’est arraché et elle saignait beaucoup. Je crois qu’elle
s’appelait Nadine. Mais les beaux jours de printemps arrivent. La maîtresse
veut qu’on décore la classe avec des fleurs. Moi, je ramène des orties parce
que personne ne les aime, donc il fait bien que quelqu’un se dévoue. Ça je
l’ai compris d’une phrase profonde écrite au tableau. Sous le préau, on se
réfugie quand il y a des pluies de printemps. Un gros gars, un jour, m’a
poussé sur le clou planté dans le mur. Il m’est rentré dans la tête. Je n’ai
pas pleuré, mais depuis je crois que j’ai perdu mon intelligence. Des bocaux
sont dans les armoires de la classe. Dedans il y a des souris, des serpents,
des crapauds. On doit les observer. Pour la Fête des Mères j’ai eu l’idée
d’offrir un crapaud à maman. Elle n’a pas apprécié. Quand mademoiselle
Lecertois est assise à son bureau, on se chamaille pour avoir une place au
premier rang. C’est d’ailleurs pour cette place qu’on se force à travailler.
Les premiers de la classe, en effet, ont droit à être devant pour mieux voir
mademoiselle Lecertois. Au printemps, elle s’habille avec des robes plus
légères. C’était un mardi 12 mai. Ce jour là, nous avions récitation.
Mademoiselle Lecertois me fait monter sur l’estrade pour réciter Le dormeur
du val. Je suis le meilleur en récitation. Je prenais une belle voix et allongeais
très longuement les phrases, comme des guirlandes auxquelles on accrocherait
des lampions. Mademoiselle Lecertois était déjà bronzée et je ne pouvais la
décevoir. Sur l’estrade, on se sent supérieur et grand puisqu’on peut apercevoir
...
(suite et fin dans la deuxième partie à venir prochainement)
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Périscope,
06/06/2017, 08:27
- Ma récitation - sobac, 06/06/2017, 10:30