Ma récitation (suite et fin)

par Périscope @, lundi 12 juin 2017, 10:58 (il y a 2722 jours)

Ma récitation
(suite et fin)

du val. Je suis le meilleur en récitation. Je prenais une belle voix et allongeais
très longuement les phrases, comme des guirlandes auxquelles on accrocherait
des lampions. Mademoiselle Lecertois était déjà bronzée et je ne pouvais la
décevoir. Sur l’estrade, on se sent supérieur et grand puisqu’on peut apercevoir

par les fenêtres ce qui se passe dehors dans la rue. Au moment où je disais dans
le poème Les pieds dans les glaïeuls, il dort, je remarquai au loin par la fenêtre
des gens qui couraient dans tous les sens. Puis tout à coup, déboucha entre
les maisons une machine bizarre, qui ne ressemblait pas aux tracteurs qu’on

connaît dans la région. Une machine, avec une espèce de tube énorme.
Elle faisait beaucoup de poussière en avançant lentement. Il y avait aussi
derrière d’autres machines semblables avec leur même tube énorme. Un
grondement puissant accompagnait les machines roulantes. Elles prenaient

la rue principale. Certainement qu’elles allaient passer devant notre école.
Je disais alors à tout le monde de monter sur les pupitres pour voir passer
le cortège de machines avec leurs tubes. Sur les machines, il y avait des
hommes assis, ils avaient des casques et des armes dans leurs bras,

comme dans les films de science-fiction qu’on voyait parfois en cachette
de nos parents. Je continuais à déclamer mon poème, alors que tous les élèves
debout sur leur pupitre regardaient le fabuleux spectacle. Mademoiselle
Lecertois disait de nous asseoir, personne n’obéissait. J’avais quand même

remarqué que le bronzage de mademoiselle Lecertois avait subitement
pâli. Un nuage de poussières envahissait la rue. Le bruit était assourdissant.
Tout tremblait, les vitres, les murs, les tables, les bocaux d’animaux morts
dans les armoires. Et nous aussi. Dans notre ventre, nous sentions un

tourbillon de chaleur, comme une tornade fantastique qui nous excitait.
Un gamin et une autre fille se mirent à chialer. Les hommes étaient beaux
sur leurs machines. J’ai croisé le regard de l’un d’entr’eux. Il nous
a salué gentiment de la main. Sur les machines,

il y avait des insignes comme des croix carrées que nous n’avions
jamais vues. Puis le cortège se termina. La rue redevint calme. Les
élèves se rassirent à leur pupitre. Je recommençais la dernière strophe
du poème pour que tout le monde apprécie réellement ma récitation.

Mademoiselle Lecertois, sans doute très émue, me donna une excellente
note. Le lendemain était donc le 13 mai. L’emploi du temps indiquait
que nous avions cours de dessin. Chacun dessina des machines monstrueuses ,
avec des tentacules ou des tubes raides gigantesques qui rentraient dans

les murs, les maisons, les personnages avaient des casques et volaient
dans le ciel en crachant du feu. Ce furent des dessins de grande
qualité déclara mademoiselle Lecertois. Puis tout à coup, alors que nous
étions en pleine création, entrèrent dans la classe deux hommes. Ils

ressemblaient à nos dessins. Leurs armes, au tube plus petit, étaient
tournées vers nous. Ils ne parlaient pas mais criaient des mots que nous
ne comprenions pas. Ils se dirigèrent vers mademoiselle Lecertois. Ils
la saisirent et partirent avec elle. On c’est retrouvé seuls dans la classe.

Personne ne causait. Des élèves ont dessiné leur maîtresse toute habillée
en noir, alors qu’elle aimait se mettre des jolies couleurs sur son joli corps.
Puis le directeur est arrivé. Il a ramassé nos dessins sans les regarder. Il
nous a fait l’école jusqu’à la fin de l’année. Mais avec lui, je ne connaissais

plus la conjugaison. Je mélangeais le présent avec le passé. Même dans
le passé mademoiselle Lecertois était toujours présente. Tous, on était dans
la complication du temps. Aujourd’hui l’été est comme l’hiver, mais nous
n’allons plus à l’école. Le passé est décomposé. Les vacances sont tristes.

La chaleur du mois d’août est glacée dans notre cœur. Le futur n’a plus
d’avenir, il est antérieur. Partout, il y a des machines avec des tubes qui
détruisent les maisons et les humains. On dit que mademoiselle
Lecertois a été pulvérisée par l’un d’eux. Elle n’aimait pas les tubes.

Même les petits entre les bras de ces hommes là.

Ma récitation (suite et fin)

par sobac @, lundi 12 juin 2017, 11:16 (il y a 2722 jours) @ Périscope

ami entends tu ect
autrement le bronzage de mademoiselle lecertois se conjugue avec la belle saison, les jupes plus courtes, et l'immagination

Ma récitation (suite et fin)

par Périscope @, mercredi 14 juin 2017, 08:56 (il y a 2720 jours) @ sobac

merci pour tes bons messages Subac

mais un petit commentaire littéraire me serait utile

pour ce texte "travaillé".


les autres lecteurs restent muets...

Ma récitation (suite et fin)

par sobac @, mercredi 14 juin 2017, 10:25 (il y a 2720 jours) @ Périscope

littéraire, je laisse aux plus doués que moi
je commente par ressentis

mon texte la rue n'attire pas non plus

Ma récitation (suite et fin)

par 'toM, jeudi 15 juin 2017, 15:52 (il y a 2719 jours) @ Périscope

Je sais pas si c'est très littéraire comme commentaire, mais enfin, c'est bien. Lire le (1), ne m'a pas apporté grand chose, je pouvais extrapoler, mais le (2), c'est bien.

Petites phrases courtes qui fonctionnent, on sent juste ce qu'il faut que c'est l'encore enfance qui parle. Sans bêtifier. L'irruption de l'invasion guerrière dans la récitation du Dormeur du Val: trouvaille. Seule critique purement littéraire, mon cher Arthur, les glaïeuls sauvages, ça existe, mais c'est quand même rare en pleine rue, et encore plus sur les champs de batailles.

La disposition en strophes ?
Pour moi, elle apporte quelque chose au texte, on le lit différemment, je pense que j'ai été plus attentif. Plus qu'un artifice ou une originalité. Mais décalé du sens même de ce qui est écrit, savoir si ça fonctionnerait indéfiniment ....

Une petite remarque, la conclusion de ton texte. Il s'éteint doucement. Là où peut-être, dans un texte d'une certaine longueur, on aime un petit regain de tension.

Voilà voilà....

Ma récitation (suite et fin)

par Périscope @, lundi 19 juin 2017, 09:41 (il y a 2715 jours) @ 'toM

merci 'toM pour ton commentaire.


la chute du texte est en effet douce-amère
la tragédie sous un voile

merci encore pour cet échange

Ma récitation (suite et fin)

par Claire, mercredi 28 juin 2017, 14:59 (il y a 2706 jours) @ 'toM

...mais 'toM, le dormeur du val n'est pas dans une rue ni sur un champ de bataille, il a réussi à marcher jusqu'à ce petit val et ce ruisseau, où il a fini par mourir.

Et oui, c'est beau les fins glaïeuls sauvages, leur couleur fuschia, bien plus beau que les glaïeuls des fleuristes.
Je me souviens très bien que le prof de français qui nous avait fait découvrir le poème avait ironisé sur le présence de glaïeuls dans la nature...quel ignorant !

Ma récitation (suite et fin)

par Claire, mercredi 28 juin 2017, 15:21 (il y a 2706 jours) @ Périscope

je suis toujours frappée par ton affection pour une vie sociale d'"avant", les noms de famille désuets, c'est une des charmes de tes textes...mais il est vrai que dans cette histoire c'est logique. L'évocation est très fine et même un peu hypnotique, on remonte en arrière.
On voit de quelle façon ton poème est fidèle à celui de Rimbaud, comment il raconte la même chose : la perte soudaine d'une innocence par la guerre. Je crois que ce poème nous l'avons tous étudié, et il nous a peut-être fait à tous le même effet, par son dernier vers. En même temps, et c'est troublant, c'est ce dernier vers, celui de la mort, qui donne au poème sa puissance.

une critique : je ne crois pas que des écoliers de l'époque n'aient pas parfaitement connu l'existence et le nom des canons.

Ma récitation (suite et fin)

par Périscope @, jeudi 29 juin 2017, 19:08 (il y a 2705 jours) @ Claire

concernant les canons je me suis laissé séduire par la métaphore du "tube".

Mais mon texte n'est pas vraiment réaliste.

c'est en effet une vision récurrente d'une école de la 3ème république


avec le temps le réel se tord comme une vieille racine carbonisée
il est temps alors pour moi de passer à l'écriture pour refroidir le sarment

merci de m'avoir lu et commenté