Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par Périscope @, lundi 10 juillet 2017, 19:36 (il y a 2694 jours)

Les surprises de l'inconnu


Aucune vieille en effet n’apparût aux fenêtres. Un vide inextricable
planait dans la rue, dans la tête de l’homme, dans la maison des vieilles.
Mais aujourd’hui Hortense ouvre la porte. C’est le soir, elle attend le
passage de l’inconnu. Son œil noir scrute le bout de la rue, à l’entrée

du village. Il arrive. Elle avance sur la chaussée. Elle fait barrage à l’homme.
« Nous vous invitons à partager notre repas » elle dit. Elle le prend par la
main et le conduit dans la maison. Elles sont toutes là autour de lui. Il
mange une garbure. C’est la spécialité des vieilles femmes. Mais il parle peu.

« Il est étranger ! » s’esclaffent les femmes. Le dîner se termine. Il faudrait
que l’étranger reparte. Mais elles sont devant la porte. Elles font corps.
« Vous passerez bien la nuit ici » demande Hortense. On lui offre une
chambre. Il ne sait plus ce qu’il décide. Il a bu un peu de vin et la garbure

était piquante. On le déshabille. Il tombe dans un amas de blancheur. C’est
Armande qui est la plus prévenante. Des jambes, des bras l’entourent. Des
baisers tièdes. Des sphères de tendresse. Une senteur de rose, des notes vanillées.
Sous les dentelles, les girons sont nus comme à travers une guipure de rideau.

Elle tripotent fortement l’inconnu, les belles vieilles. Il s’endort, lui, fatigué
de trop d’amour. Lorsque l’aube pointe, une idée émerge dans le crâne de
l’homme. Il est seul dans la chambre. Une idée souveraine dont il se sent
redevable. Il descend dans la salle commune. Autour de la grande table, elles

sont toutes assises. Café, thé, chocolat fument. Les visage sont pâles, défaits,
mais attentifs à l’inconnu qui prend place sur le banc. Il se dresse alors, et
annonce dans une langue laborieuse, qu’à son tour il invite les dames à le
suivre. Ce sera une promenade dans la montagne. Mais c’est la consternation.

Les femmes sont pétrifiées. Il y a si longtemps qu’elles n’ont pas mise les pieds
en dehors de leur masure. C’est que pour beaucoup d’entre elles, elle est déjà
l’antichambre de leur tombeau. Alors sortir du village est une aventure qui
dépasse l’entendement. Aussi Armande, Hortense, Nina sont les premières

à convaincre leurs congénères nonagénaires. Nina s’enthousiasme de pouvoir
dessiner autre chose que des vieilles gueules décrépies. Enfin dans la matinée
les trois quarts de la maisonnée sont armés de béquilles, cannes, pics, et des
fauteuils roulants pour répondre à l’appel de l’inconnu. La cohorte clopinant

attaque le sentier qui mène vers la montagne. Dans le sillage de l’inconnu,
les vieilles bravent les éboulis de pierres, les serpents que les cannes pointues
sortent de leur sommeil, les bouquetins que les dentelles affriolantes agacent
chaudement, les hannetons qui en veulent aux chevelures crépues et leur poudre

de riz odorante. L’une, parmi les plus impotentes, a failli être emportée
par un torrent. Mais à chaque fois, l’inconnu se trouve là pour offrir son
bras, tendre une main aux malheureuses. Après plusieurs heures, la pente
se fait moins raide. Il y a presque une bonhommie chez ces femmes à

arpenter le terrain devenu plus accueillant. Puis soudain, celui-ci s’arrête
brusquement par une plate-forme. Un dallage fraîchement posé resplendit
sous les pieds tordus des vieilles. L’inconnu demande à celles-ci de se
regrouper autour de lui. Il avance alors jusqu’au parapet qui borde le belvédère.

Un panorama gigantesque s’ouvre à la vue de l’assemblée clopinant,
crachotant, transpirant et pissant d’émotion, car le panorama est à
couper le souffle, comme on dit. L’inconnu explique brièvement qu’il
était de ceux qui ont construit ce pharaonique belvédère . Maintenant

le chantier est terminé. Et lui devra partir à la rechercher d’un nouveau
travail. Les vieilles sont éblouies de lumière. Un vertige incomparable
les saisit. Des nausées leurs tordent les boyaux. Une migraine leur
broie les tempes. Elles flageolent sur leurs guiboles variqueuses. Elles

tremblent. Les bancs de pierre prévus pour les touristes deviennent des
lits de fortune pour allonger les plus moribondes. Il faudrait de l’eau,
des ambulances, mais le belvédère n’est pas encore ouvert au public.
L’ouvrier a voulu, en exclusivité, être le premier à offrir cette vue

imprenable sur le monde, aux vieilles carcasses qui le dévisageaient
derrière les rideaux miteux de leur pension où elles attendaient
passivement la mort. Nina, dans des hoquets d’admiration, est prise
d’une fièvre créatrice. Elle croque, dans ses carnets, tout le monde.

Ses camarades agonisantes, les arbres, les montagnes, des papillons,
et la brume lointaine où reviennent ses paysages d’enfance. Armande,
que la main de l’homme délaisse, se perfore le ventre sur les barrières
du parapet. Hortense saute dans le vide, parce que la vie n’est plus

possible après tant de beauté. Et d’autres femmes subissent pareillement
le même choc de l’absolu. L’inconnu, que plus rien ne peut retenir,
descend vers la vallée. Il a entendu dire qu’un autre chantier devrait s’ouvrir,
par-delà la frontière.

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par Claire, mercredi 12 juillet 2017, 14:56 (il y a 2692 jours) @ Périscope

magnifique récit.
Je me dis que d'innombrables auteurs ont décrit la mort comme une très belle femme attirant dans le néant un jeune homme, mais c'est le première fois qu'elle m'apparaît sous les traits d'un homme robuste et esthète, guidant de vieilles femmes passionnées vers le saut de l'ange :)

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par sobac @, vendredi 14 juillet 2017, 10:33 (il y a 2690 jours) @ Claire

passer de vie à trépas
l'inconnu s'improvisa
comme la fuite en avant
et la mort les attira

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par Écrire, vendredi 14 juillet 2017, 18:05 (il y a 2690 jours) @ Périscope

L’apparition de la beauté constitue-t-elle une expérience de l'extrême susceptible d'éveiller en nous, de façon instantanée, tout ce dont nous serions peut être capables au cours d'une vie si jamais nous nous consacrions, chair sang et os, esprit et cervelle, à son seul avènement ?

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par Périscope @, samedi 15 juillet 2017, 15:54 (il y a 2689 jours) @ Écrire

D'abord qu'est-ce qu'on entend par la beauté ? La définition est variable pour chacun.

Se préparer durant toute une vie, à l'avènement de cette Beauté, n'est-ce pas être certain de passer à côté ?

Une transcendance ? Certes !

Ce qui nous dépasse, nous pousse à être plus... (hormis la barbarie qui serait
à coup sûr l'antithèse évidente de la beauté)

je crois que la Beauté peut être un geste, un regard, une intention...

un ouvrage spectaculaire ou pas, en tout cas un pont jeté entre soi et l'autre,

une manifestation qui nous fait respirer autrement, en harmonie.


Voilà Ecrire ce que j'ai envie de dire, et le faire sur ce sujet risque déjà
hélas de faire une ombre à la Beauté

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par Périscope @, dimanche 16 juillet 2017, 12:09 (il y a 2688 jours) @ Périscope

La beauté ça pourrait être tout ce qui est en creux


tout ce que je ne trouve pas laid !

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par le mouton noir, dimanche 16 juillet 2017, 14:55 (il y a 2688 jours) @ Périscope

Votre hypocrisie et votre laideur sont très belles, Périscope, aux yeux de tous les chrétiens /toutes les chrétiennes de la Toile et du monde, mon enfant !
N'ayez aucune crainte, votre jolie voix/chant de sirène androgyne, je le reconnais, endormira même l'esprit immaculé, le plus éveillé (de tous les endormis aphasiques, volontairement, aveugles et sourds..) Je suis fier de vous, mon enfant!
Et si un jour, par bonheur, en fermant les yeux, le désir vous étreint, vous enserre..ne laissez aucun 'mouton noir'/barbare/sauvage l'empêcher par sa laideur noire !
Avec l'aide de votre compagne chrétienne, accomplissez votre devoir phallique, en engrossant votre propre progéniture, mon enfant !
N' ayez aucune crainte, notre seigneur blanc pardonne tout, à ses moutons blancs !

Réponse à mouton noir

par Périscope @, lundi 17 juillet 2017, 09:20 (il y a 2687 jours) @ le mouton noir

Que veux-tu laisser entendre mouton noir ?

tu n'as pas apprécié mon texte. D'accord.

mais alors soit plus précis dans tes critiques.

merci

Réponse au mouton blanc

par mouton noir, lundi 17 juillet 2017, 11:43 (il y a 2687 jours) @ Périscope

J'obéirai à Vos injonctions, mon Enfant ! et comment Vous désobéir ? Vous êtes la représentation même du Christ "amoureux" ! J'ai foi en vous, mon Enfant !
Le pouvoir de votre blancheur et la clarté de vos yeux demeureront irréprochables, à mes yeux !
Que D bénisse Votre Sainte famille, mon Enfant !
Et que le bétail soit toujours heureux, sous Votre joug, mon Enfant !

Réponse au mouton blanc

par Périscope @, mardi 18 juillet 2017, 15:23 (il y a 2686 jours) @ mouton noir

Un peu facile sous couvert de l'anonymat
de tenir des propos si "évanescents"

et ainsi de se dérober aux questions véritables posées

Réponse au mouton blanc

par mouton noir, mardi 18 juillet 2017, 16:53 (il y a 2686 jours) @ Périscope

Je ne saurai répondre à Vos Questions VERITables, Vous avez Réponse à Tout, Vous êtes Lumière, mon Enfant ! Je ne me dérobe pas, je ne suis qu'une bête sombre, sans visage, sans nom, sans parole, qui ne danse qu'à la tombée de la Nuit, mon Enfant !

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par dh, dimanche 16 juillet 2017, 16:02 (il y a 2688 jours) @ Périscope

coucou periscope,

moi je suis de plus en plus tenté de croire que la Beauté est un mot assez creux comme concept normatif déconnecté d'un contexte (même chose pour amour, liberté, verité, réalité ...) et devient malheureusement un argument d'autorité dans la bouche des dominants et autres nouveaux riches de la pensée : la tyrannie de la beauté.

je me suis cependant laissé aller dans le passé, par faiblesse, à écrire ceci :

ce que l’on est en droit d’attendre de la poésie, c’est qu’elle nous apporte de la beauté, à savoir : premièrement, une consolation ; deuxièmement, un espoir.
Certains verront dans la beauté un nouvel avatar de l’opium du peuple, une translation de la religion déclinante adaptée au goût du jour. Ce n’est pas totalement faux, mais sans beauté, c’est à dire sans consolation ni espoir, aucun progrès esthétique ou moral n‘est possible.

qu'en pensez vous, noble palmipède ?

Les surprises de l'inconnu (suite et fin)

par Périscope @, lundi 17 juillet 2017, 09:34 (il y a 2687 jours) @ dh

tout à fait d'accord dh

la beauté, comme le mot "poésie" sont souvent des codes culturels intimidant.

je préfère traduire ces thermes en émotion.

le problème qui se pose est alors celui du langage, comment transmettre cette impression...

mais les notions de beauté et poésie à mon avis ne sont pas transmissibles,
ces mots sont utilisés par défaut

il suffirait "d'être" et d'exprimer ce sentiment comme on peut, on veut

ensuite c'est l'affaire du récepteur-lecteur-regardeur-auditeur de nommer cela comme il le souhaite, selon son contexte, comme tu le dis justement