le paysage - suite

par julius-c, samedi 26 août 2017, 20:50 (il y a 2647 jours)

Le paysage était apparu un jour, par hasard. Il était étendu, le corps pétri de cors et de rides, sur la ligne choisie pour horizon. De grandes plaines vertes et jaunes s’étendaient au pied de collines régulières. Un bois d’eucalyptus parsemaient parfois les vallons. Le vent s’y engouffrait pour remonter les dômes et souffler vers des sphères plus hautes, de grands oiseaux blancs pris dans son hanse.

1.
Dans le paysage se tiennent deux silhouettes. L’une d’elle se tient droite, les bras ballants, et l’autre a les bras pliés, les mains posées sur ses hanches. Toutes deux sont tournées vers un point dans les collines.
Voilà des heures, des jours, qu’elles se tiennent là à parcourir les lieux. Elles se pensaient d’abord sur une sorte de carte postale : les choses avaient une densité pleine, elles étaient là simplement, inertes. Puis a force de marcher toujours sur l’étendue disponible (pensent-elles), le lieu est devenu un angoissant mirage : la colline, réalisent-elles, respire - elle respire depuis toujours. Et le vent qui se glisse partout, il nous enserre comme un serpent sa proie. Les eucalyptus sont toujours les mêmes, fantômatiques.
Les deux silhouettes ne sont pas arrivées au même endroit. Elles se sont retrouvées dans leur commune infortune, de ne pouvoir y échapper, et de se ressembler un peu. Nous les distinguerons par X (les bras ballants) et Y (les mains posées sur ses hanches).
X et Y ont décidé de s’asseoir près des arbres, et de tourner autour d’eux à intervalle régulier. Ainsi, pensent-ils, nous auront toujours un tableau différent pour notre ennui. Mais c’est toujours le même eucalyptus qu’ils regardent et déshabillent, qui se vide à grands flots chaque seconde.
Le lendemain, X et Y prennent une décision : ils partent. Lorsqu’ils quittent le lieu, les alentours se déchirent d’eux, se retrouvent nus à nouveau.

2.
X et Y partent, et c’est comme s’ils ne cessaient plus de partir. Ils vont de lieux en lieux, mais le paysage, désormais, leur est indifférent. Ils voient ce vers quoi ils marchent, ce n’est jamais le même caillou, un point qui recule à mesure qu’ils avancent. Chacun se perd dans sa pensée. Ils ne pensent rien de précis, comme leur déambulation les images passent, ne s’accrochent pas. Elles flottent, ailleurs que dans le monde, dire qu’ils les voient seraient trop dire, elles sont présentes pourtant. X, enfin, pense à Y. Il ne le connaît pas. Il n’a pas osé regarder son visage en détail, les jours précédents. Mais il pense à Y et la pensée s’accroche, Y soudain se retourne. Etrange, pense X. Y se retourne et regarde X, il parcoure l’étendue de son corps en détail. X baisse les yeux, les lève à nouveau pour vérifier qu’Y le regarde toujours. Y le regarde dans les yeux maintenant. Il veut me tuer, pense X. Il ne sait pas quoi faire, et il reste, les bras ballants, le regard qui fuit. Il fait demi-tour et se met à courir. Le paysage a changé : il court dans la plaine, une plaine couverte d’herbe jaune, des sauterelles en jaillissent, paniquées alors qu’il court. Il y a des arbres, d’une espèce qu’il ne connaît pas, il y en a de plus en plus qui forment maintenant une forêt. X est seul, caché des yeux dévoreurs de Y. Sa pensée s’est réveillée à cette course, il pense clairement, vite, et les pensées tiennent ensemble. Etrange, se dit-il encore, que je ne me sois jamais demandé ces derniers jours, pourquoi je suis ici, pourquoi ces lieux. Je ne me souviens de rien. Tout n’a pas toujours été comme ça, silencieux. Il se souvient, et la pensée fuit, d’un endroit bruyant et plein de monde, gris et sale. Et il regarde le bois, silencieux au zénith, sans la moindre ombre. X a faim et soif. Il n’y pensait pas, les derniers jours. Il pense au moment où le monde est apparu. Il était dans la plaine, face aux collines. Il regardait un point dans les collines. Il y avait Y a ses côtés, les mains sur ses hanches, le même point fixé des yeux. Avant ça, rien. X, lentement, sent le souvenir du point dans les collines s’épaissir, envahir tout son ventre : il commence à angoisser. La situation, pense-t-il, m’échappe totalement. Il marche dans la forêt. C’est une belle forêt, tapissée de mousse, les arbres hauts et anciens. Le mal passe, il voudrait rencontrer quelqu’un.

3. Y a pensé à X au moment où X pensait à lui, lorsqu’ils marchaient. Quand il s’est retourné, il a regardé X pour la première fois. C’était un garçon de 20 ans, maigre et fébrile. X semblait-il, avait eu peur de lui et s’était enfui. Y a continué a marché, seul. Il a marché deux jours et deux nuits, puis s’est assoupi sous un chêne. Il fit un rêve, qu’il se répéta à lui-même à son réveil.

« J’entends battre une porte, mais ce bruit me paraît très lointain. Au fond de la pièce se tient quelqu’un, fixant la fenêtre derrière moi. Je me retourne. Dehors, il y a une rue, des passants, des voitures : une ville.
« Et bien, voilà un jour passé, n’est ce pas? »
Je pleure. Puis me retrouve, quelques pas plus loin, derrière celui qui a prononcé les mots. Il est chauve, le crâne irrégulier, un grain de beauté dans le cou. Je lui fait confiance. Il disparait.
Plus loin dans la pièce, un escalier. Je me retrouve en bas, sans avoir eu à le descendre. Je marche et je suis dans la plaine, la plaine où nous sommes apparus, X et moi, il y a quelques jours. X se tourne vers moi, me regarde, et disparaît lui aussi. Dans les collines, un point scintille. Je le regarde. Il brille de plus en plus fort, devient une immense boule blanche qui s’élève dans le ciel. Mais un point subsiste, il est noir dans la lumière qui m’éblouit.
Je me réveille avec le soleil. »

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