Comment et pourquoi Alejandro Jodorowsky m'a conseillé de faire du tir au pistolet

par François, dimanche 03 septembre 2017, 02:16 (il y a 2639 jours)

J'ai la mémoire mauvaise, mais je me souviens qu'il faisait jour. J'étais sur le point de me jeter la tête la première dans le bienheureux piège, tendu pour mon salut. Il prononça d'abord mon nom (mon corps en fût guère surpris, je ne pris pas la peine de mimer l'étonnement. À quoi bon ? J'étais venu pour cela). J'avais intercepté la rencontre en plein ciel, telle un pigeon ; il se chargea de mettre la table. Il me réserva la dernière place : la pire. La meilleure tout bien pesé. La seule qui vaille
Que vaille augmente les chances d'imprimer au mieux dans la mémoire. Mon corps savait bien à quel type de personnage il avait affaire, il me le signala de mille façons, mon esprit était tout occupé à me contenir. J'étais bien décidé à sauter nu dans le piège émancipateur, là-dedans, je n'avais plus besoin de mes affaires, peu importent les pacotilles, peu importe si je n'étais moi-même qu'une pacotille, portée là par le vent, mourant mouvant alternativement, comme chacun, il n'était plus l'heure de faire semblant. Le vieillard (il se nomme lui-même ainsi) est enfantin et rigolard comme peut l'être un initié. Je me porte tant bien que mal, avec mes barreaux qu'il écarta d'un trait. De moins en moins je sais m'exprimer à l'aide de mots, une autorité latente brise mes élans, sans doute suis-je trop plein d'une fureur aride. La véritable communication s'effectuant d'un corps vers un autre corps, je ne savais que trop bien la multitudes de signes qui émergeaient de nous deux. "Tu ne t'aimes pas toi-même" me lança t-il. "Tu as tous les talents possibles, mais tu as la tête en bas. Comme un pendu". Je savais tout cela mieux que quiconque, je ne découvrais rien, je croyais m'émerveiller de sa capacité de lecture de l'autre, quand au fond je le savais déjà largement capable. "Tu te punis tout seul". Là-dessus se produisit un événement d'ordre magique que je préfère taire ici. Je dis d'ordre magique, peut-être que je succombe au spectaculaire, quand il s'agit plus simplement d'un mécanisme naturel de la vie, laquelle est magique par nature. L'assistance, debout autour de nous se mit à crier, à rire, les deux à la fois, à la fois stupéfiés et usant du rire afin d'annuler sur-le-champ toute forme d'anxiété qui pourrait naître à la suite d'un événement par trop extraordinaire. Je n'étais décidément pas entouré d'imbéciles. Un instant j'ai souhaité comprendre l'espagnol pour mieux saisir leurs mots, avant de réaliser la futilité à nouveau de la langue. Je n'étais pas vraiment surpris, mais plein de reconnaissance. J'avais le sentiment de vivre le film tel qu'il avait été agencé en amont, mais sans éprouver la lassitude. Le mouvement allait tel que je souhaitais intérieurement qu'il s'exécute à ce moment précis : la beauté est une conjonction. Lui, le vieillard, était savant suffisamment pour savoir se replier et laisser parler la vie à travers ses mains et ses yeux. Tout cela le faisait bien rire. Je ne sais pas si je riais, il me semble que oui. "Tu dois faire du tir au pistolet. Voilà ce que tu dois faire". Il riait de plus belle.

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