Un air de tropisme en trois couplets
Il n’ose pas le regarder d’abord. Il ne s’attendait pas à
le trouver là. Puis il se fait à l’idée. Il le fixe du coin
de l’œil. Après la stupeur, une aimantation étrange
s’empare de lui. Il s’empêche de la juger. D’ailleurs
le pourrait-il ? Celui qui ne devrait pas être là est mal
affublé. Il est sale. Cela ne le gêne pas d’être
sale. Il affiche une certaine ostentation à montrer
sa saleté. Il déclenche la curiosité. Celui qui le regarde
se sentirait alors embarrassé d’être correctement habillé. Il s’en
excuserait auprès de l’autre qui ne dit mot. Il ne bouge
pas. Son immobilité donne envie de l’approcher. Lui n’irait
pas jusqu’à lui tendre la main pourtant il en a envie.
Ce qui est certain c’est le battement qu’il lui tambourine
les tempes, le pincement tenace au niveau du plexus, et
les jambes qu’il a de plus en plus faibles. Quant à cette
chaleur qui lui envahit le ventre il ne veut pas encore la
reconnaître. Son bras le démange, ses doigts électrisés
s’apprêteraient à saisir l’autre, le sale, le silencieux,
l’immobile. Il regarde l’habitacle où il se trouve. Un exigüe,
coffrage en plastique, tout y est fonctionnel et hermétique.
Embuage et humidité chaude sont confinés dans la coque
en plastique. Une lumière crue frappe les parois de couleurs
jaune et blanche. Puis, sans plus réfléchir il tend la main.
L’autre se laisse faire. Avec mollesse. Il n’oppose pas de
réticence à démasquer sa crasse, ses zones d’ombre. Lui
bizarrement semble les rechercher. Fébrilement. Son
battement de tempes devient insupportable. Il est debout.
S’accrocher à cette verticalité pour ne pas succomber à ce
dont il ne pourrait plus se remettre, lui semble-t-il. Il le
regarde en face, droit, il s’afflige cette honte. Il y voit
ce qu’il sait déjà. Ce qu’il connaît trop bien. Mais chez
l’autre ce familier devient étrange, acquiert une intensité.
L’écœurement de se sentir au plus profond. Il chancelle
contre la paroi de plastique. Ses genoux ont peine à le soutenir.
L’odeur est devenu un bain qui le submerge. Il fait tourner
l’autre autour de lui. Mais son inertie provoque un doute.
Existe-t-il vraiment ? Est-il vivant ? Comment est son visage ?
Si proche de lui, il ne le voit plus. Sa docilité est inquiétante.
Il fait chaud dans la coque en plastique. Il desserre sa cravate. L’autre
lui fond sur la figure, épouse toutes les sinuosités. Il est à
la merci de la poignée de main qui l’écrase, l’enserre,
qui pourrait le déchirer par tant de nervosité. Mais il se sent
important parce qu’on le vénère, le crasseux n’a pas l’habitude qu’on
le considère ainsi. Son âme souillé serait dans une sorte
de rédemption. Cette embellie peut durer combien de temps ?
Celui qui l’écrase respire très fort. C’est un inconnu, comme
lui. Deux inconnus se découvrent dans l’habitacle étroit,
sous la lumière crue, dans l’atmosphère embuée.
Les bruits dehors sont diffus, indistincts, comme
si la coque de plastique était un astronef, perdu dans l’espace,
désarrimé de la terre des humains. Pourtant, il n’y a rien de
plus humain dans la rencontre entre le crasseux et l’autre qui finirait
tant par le manger, l’avaler, mais ce serait ridicule, puisque
le crasseux n’est pas comestible. Alors ce qu’il écrase alors entre
ses doigts n’est qu’un symbole. L’imagination aide à composer ce qui
est absent. C’est pure folie. Quelqu’un frappe soudain à la porte,
il agite la clenche. Mais le verrou avait été tiré par précaution.
(2ème couplet à suivre prochainement)