Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par Périscope @, dimanche 17 septembre 2017, 17:11 (il y a 2625 jours)

Un air de tropisme... (3ème et dernier couplet)


Il ne mange pas avec ses doigts. Il pique méticuleusement avec
les dents de sa fourchette ses morceaux de carotte. Il se verse, de la
carafe à son verre, un rosé insipide, mais frais. Les manches longues
de sa chemise sont soigneusement repliées sur ses bras puisque c’est

le mois de mai. Il ne regarde pas les gens autour de lui. Il est seul
à sa table, tandis que les clients dans le reste de la salle occupent
d’autres tables avec leurs enfants, leur famille, leurs amis.
Il y a une télévision suspendue au mur en hauteur qui diffuse

le journal télévisé. La tribune du stade s’est effondrée. La clarté de
midi s’infiltre par les portes vitrées ouvertes dont les rideaux
légèrement se balancent sous l’effet d’un vent coulis tiède. Si les
yeux basculent sous la table, ils peuvent voir les jambes

du client solitaire. Jambes puissantes que moule un pantalon
de couleur écrue. Le bilan est de dix huit morts et deux mille
trois cents blessés. Les yeux s’attardent sur l’entrejambe et
remontent vers le visage anguleux, au menton carré, mais dont

le regard absent se fixe nulle part. Le front haut se perd
sous les mèches bouclées qui adoucissent le tout. Les informations
du téléviseur pleuvent sans que personne y prête attention.
Pris de panique les gens sont écrasés les uns contre

les autres. La tribune avait été montée provisoirement au dernier
moment. On apporte au client solitaire une cassolette de flageolets
tarbais. Il se verse une rasade copieuse de rosée et plante
les dents de sa fourchette dans les flageolets qu’il mastique

lentement. Le regard de l’autre client qui l’observe ne peut déceler
rien de plus profond. Il se plait à supposer que le client aux
jambes puissantes est un vrp et qu’il passe une nuitée
professionnelle dans l’auberge de province. Il aurait pu aussi bien

lorgner une autre personne, il faut croire que celle mangeant
des flageolets est plus remarquable. Celui-là a la coiffure
encore mouillée d’une douche matinalement prise. Sa chemise
est propre ainsi que le pantalon dont le pli résiste à la tension des

jambes qui le distend. Ce fut un choc difficilement avouable, quand
le regard du solitaire a croisé par hasard le regard de l’autre solitaire
qui le toisait. Le temps d’un éclair, le présent s’est mélangé
à d’autres instants. La météo succède aux informations du journal télévisé.

Fin

Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par Claire, dimanche 17 septembre 2017, 18:46 (il y a 2625 jours) @ Périscope

En googelisant "tropisme", je vois un recueil de nouvelles de Nathalie Sarraute qui porte ce titre, que je ne connaissais pas. Tu t'en es inspiré ?

Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par Périscope @, dimanche 17 septembre 2017, 19:13 (il y a 2625 jours) @ Claire

oui, vaguement mais suffisamment....

Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par Écrire, dimanche 17 septembre 2017, 20:57 (il y a 2625 jours) @ Périscope

Je me rappelle avoir lu ce livre de Sarraute il y a très longtemps, avec un enthousiasme proche de la ferveur.

Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par dh, lundi 18 septembre 2017, 07:55 (il y a 2624 jours) @ Écrire

pas lu "tropisme".

essayé de lire "enfance". ai stoppé au bout de 50 pages.

par manque d'intérêt.

par contre, le dialogue "pour un oui ou pour un non", avec dussolier et trintignant, j'avais adoré. ( "c'est bien, ça" )

Un air de tropisme...(3ème et dernier couplet)

par sobac @, vendredi 22 septembre 2017, 10:45 (il y a 2620 jours) @ Périscope

de retour( du sud) je lis ton texte
tropisme à st Tropez, c'est ma version ou réaction chimique
j'ai bien aimé tes trois extraits, et ton sens de la description

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par Périscope @, samedi 23 septembre 2017, 15:46 (il y a 2619 jours) @ sobac

Merci Sobac

Ce qui m'intéresse dans les tropismes (concept de Nathalie Sarraute)
c'est que les personnages sont impersonnels, ainsi ils peuvent être tout le monde.

il n'y a pas d'intrigue, rien de spectaculaire apparemment

tout ce passe dans la tête, le corps, les sensations, les velléités,
les choses qui n'explosent pas, mais qui bouillonnent,

en somme c'est un western sans coup de feu

c'est tout ce rhizome intérieur de l'être dont l'éclosion ne sera qu'une modeste
fleur, mais à l'humus vertigineux qui se décompose et recompose par le tissage haletant, balbutiant, du verbe.

les tropisme c'est un peu comme un tableau de Giorgio Morandi.

Dans mes 3 couplets c'est ce qui m'a guidé...

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par Périscope @, samedi 23 septembre 2017, 17:11 (il y a 2619 jours) @ Périscope

Excusez pour les fautes

Très pressé en ce moment...

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par dh, dimanche 24 septembre 2017, 06:53 (il y a 2618 jours) @ Périscope

"c'est tout ce rhizome intérieur de l'être dont l'éclosion ne sera qu'une modeste
fleur, mais à l'humus vertigineux qui se décompose et recompose par le tissage haletant, balbutiant, du verbe."


pour reprendre l'expression de notre chère Foedera, voilà une glose qui me semble "peu ou prou incontestable" .......

schopenhauer ne disait-il pas que "l'art est la fleur de la vie" ?

j'ai moi-même écrit un poème auto-justificatif ( qui paraîtra peut-être ?... ) dans lequel les poèmes sont comparés à des fleurs. je le poste ne guise de "réponse"....

*

profession de foi


comme si je pouvais prendre des mots
les jeter sur le papier
et faire quelque chose de beau

les gens diraient c'est bien c'est
comme si les mots étaient vivants
et depuis des années je fais comme si

écrire à partir de l’espérance ou son contraire
faire fleurir un lotus dans la boue et l'ordure
étaient des occupations justifiées

pour archiver des perceptions
je fais avec peu je me protège du bruit de tout
ce qui est écrit sur la pierre repose dans le végétal

les convulsions du monde ne me concernent pas
Poésie nous apporte du bien à tous
( sauf si quelqu'un a d'autres motifs de s'en servir )

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par Périscope @, mercredi 27 septembre 2017, 09:50 (il y a 2615 jours) @ dh

Ton poème :

"comme si", hé oui l'importance sournoise du "comme si", on ne peut y échapper

"espérer à partir de l'écriture" pourrait être un contraire.

en effet comment justifier de faire fleurir un lotus dans la boue et l'ordure ?
besoin de lumière, d'espérer, foi en les mots qui ne peuvent rien...

"ce qui est écrit sur la pierre repose dans le végétal" : j'aime bien, l'écrit sur la tablette d'argile continue à vivre, rebourgeonner au grès de la lecture de chacun.

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par dh, mercredi 27 septembre 2017, 17:14 (il y a 2615 jours) @ Périscope

en effet comment justifier de faire fleurir un lotus dans la boue et l'ordure ?

besoin de lumière, d'espérer, foi en les mots qui ne peuvent rien...>>>

je ne crois, et ne dis pas du tout que "les mots ne peuvent rien".

enfin, si c'est ce que vous avez compris, je n'y peux rien, ça oui.

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par Périscope @, jeudi 28 septembre 2017, 08:07 (il y a 2614 jours) @ dh

je ne prétends pas traduire ta pensée, (elle doit se suffire à elle-même)
j'écris seulement ce qu'elle m'évoque

pour prolonger, l'écriture des uns stimule la pensée des autres

c'est un plaisir que me procurent souvent les textes sur ce site

j'interprète donc évidemment je trahis

Ce qui m'intéresse dans les tropismes...

par dh, jeudi 28 septembre 2017, 13:07 (il y a 2614 jours) @ Périscope

je ne prétends pas traduire ta pensée, (elle doit se suffire à elle-même)

j'écris seulement ce qu'elle m'évoque


d'accord

alors pouvez vous me dire qu'est-ce qui, précisément, dans mon poème, vous "évoque" l'idée, ou vous amène à penser, que "les mots ne peuvent rien" ?