elle descend de la montagne, Nougaro est mort.
Quand tu dis « mon épaule », je me demande ce que tu sens. Est-ce proche de ce que je sens quand je dis « mon épaule » ? Quelles différences ?
Je baigne dans les méandres de la question, au volant de ma voiture, remontant la rue où le soir vient. L’eau coule des deux côtés depuis la montagne, il a beaucoup plu ces derniers jours. Sur l’auto-radio Nougaro chante « Garonne », et dans sa voix vibrant d’hormones, dans la façon dont il prolonge l’étrange mot (étrange comme tout nom propre), je vois se dresser une corps de divinité féminine, sans visage. Si dressée, si haute, plan miroitant de brun et de vert. Garonne est une femme, le flux profond de la voix de Nougaro est homme, il l’entoure et la pousse encore plus à se lever devant lui, ondoyante et sexuée, maternelle et séduite, aveugle et sourde.
La chanson précédente c’était « Mai », avec cette «épée du printemps qui sacre notre épaule », et je voyais l’épaule de Nougaro, à genoux, tête baissée.
Il est évident qu’aucune épée ne touchera mon épaule. Une cape pourrait convenir aux deux, mais c’est un peu théâtral.
Pourtant elles sont faites de la même manière, mêmes muscles et tendons, os arrondis ou sinueux, même sang rouge, mêmes fonctions. Mais quand Nougaro dit « mon épaule », je crois que ce n’est pas pareil que lorsque je dis « mon épaule » ; nos voix diffèrent, nous ne portons pas le monde de la même façon.
Et c’est même encore plus différent, d’une différence essentielle, comme une faille sans mot, qui fait que je ne ressentirais rien de semblable à effleurer l’épaule de Nougaro et la mienne.
Je m’enfonce ainsi dans le mystère de cette épaule lourde, qu’il propose par la voix, comme un support à saisir, à toucher.
En même temps, la chanson dit que l’épée du printemps sacre notre épaule...et elle sacre la mienne aussi.
Je baigne dans les méandres de la question, au volant de ma voiture, remontant la rue où le soir vient. L’eau coule des deux côtés depuis la montagne, il a beaucoup plu ces derniers jours. Sur l’auto-radio Nougaro chante « Garonne », et dans sa voix vibrant d’hormones, dans la façon dont il prolonge l’étrange mot (étrange comme tout nom propre), je vois se dresser une corps de divinité féminine, sans visage. Si dressée, si haute, plan miroitant de brun et de vert. Garonne est une femme, le flux profond de la voix de Nougaro est homme, il l’entoure et la pousse encore plus à se lever devant lui, ondoyante et sexuée, maternelle et séduite, aveugle et sourde.
La chanson précédente c’était « Mai », avec cette «épée du printemps qui sacre notre épaule », et je voyais l’épaule de Nougaro, à genoux, tête baissée.
Il est évident qu’aucune épée ne touchera mon épaule. Une cape pourrait convenir aux deux, mais c’est un peu théâtral.
Pourtant elles sont faites de la même manière, mêmes muscles et tendons, os arrondis ou sinueux, même sang rouge, mêmes fonctions. Mais quand Nougaro dit « mon épaule », je crois que ce n’est pas pareil que lorsque je dis « mon épaule » ; nos voix diffèrent, nous ne portons pas le monde de la même façon.
Et c’est même encore plus différent, d’une différence essentielle, comme une faille sans mot, qui fait que je ne ressentirais rien de semblable à effleurer l’épaule de Nougaro et la mienne.
Je m’enfonce ainsi dans le mystère de cette épaule lourde, qu’il propose par la voix, comme un support à saisir, à toucher.
En même temps, la chanson dit que l’épée du printemps sacre notre épaule...et elle sacre la mienne aussi.