Variation autour du poème (en cours)

par Casimir, mercredi 18 octobre 2017, 21:39 (il y a 2593 jours)

Les poèmes illégaux représentent aujourd’hui un grand problème de santé publique, touchant particulièrement les jeunes. On a trouvé de nombreux cas d’abus et de dépendance, entraînant des phénomènes de délires mystiques comme par exemple la croyance en une vocation artistique. Heureusement, pointent les sociologues, ces abus diminuent fortement avec l’âge, l’entrée dans le monde professionnel ou l’entrée dans le gouvernement. «Il convient de rester vigilant» préviennent cependant les autorités.

En Russie, un oligarque a été arrêté par la police alors qu’il s’apprêtait à écrire un poème avec une prostituée. On pense à un coup monté.

Aux Etats-unis, un hacker lanceur d’alerte a envoyé à un journaliste d’investigation un sonnet écrit par un secrétaire d’état dans sa jeunesse. Le secrétaire d’état a confirmé l’information avant de démissionner. Les médias ont décidé de ne plus couvrir l’affaire en prétextant des raisons déontologiques.

L’interdiction de se déplacer dans un poème qui n’obéit pas aux nouvelles exigences écologiques sera repoussé à 2020 annonce le ministre des transports.

Un poème est revenu d’un voyage sur l’ISS, fait curieux puisque l’on estimait que les poèmes ne se déplaçaient qu’en train ou à bicyclette. De nombreux scientifiques essaient toujours de l’identifier, mais les critères anthropomorphiques contemporains ne sont d’aucune aide.

La police enquête sur l’assassinat d’un poème, retrouvé dans la forêt de fontainebleau, poignardé de multiples ratures, alors qu’il faisait un jogging. On soupçonne un écrivain présent dans les lieux lors du crime, soumis à de nombreuses crises d’angoisse, ne s’exprimant que par de vagues allusions à René Char.

Le poème est une femme qui, ayant un rendez-vous, hésite quant au choix de sa robe.

Avant de laisser le poème vous parler de révolution, de fleurs qui s'épanouissent, de soleil éblouissant, demandez-lui de vous laver les pieds.

Les meutes de poèmes autour de Paris sont toujours plus nombreuses. Ces poèmes se distinguent par leurs yeux rouges et un pelage noir très sombre. Ils logent parfois sous de grosses pierres, prêts à mordre au moindre signifiant.

Il semble que le poème ait parasité les vignes, provoquant des troubles de la mémoire et des dédoublements de la personnalité chez nos viticulteurs. Une équipe d’agronomes, envoyée dans le Médoc pour étudier le problème, n’est toujours pas revenue. On est plus inquiet encore concernant Karine Le Marchand, en tournage dans la région, qui ne donne aucun signe de vie.

Le poème vient de battre le nouveau record de saut sans parachute. Pour certains, cela ne prouve que davantage la verticalité de l'être. Les autres sont toujours à la recherche de ses dernières paroles.

Paris insolite : il faut pousser une lourde grille à serrure d’ivoire pour rejoindre le petit jardin où grandissent les poèmes. Une certaine somme donnée au jardinier vous rappellera le souvenir de vos êtres chers. Au bout d’un temps, on ne sait plus si la superbe vue donne sur Paris ou l’origine du monde. On recommande particulièrement les smoothies, servis par Tristan Corbière. Trois étoiles.

Bien écraser le poème. En récupérer une pâte très fine, la plonger dans de l’eau bouillante. Lorsqu’il devient uni, dense et harmonieux, en tartiner son recueil. Servir froid sans se plaindre de ne pas pouvoir en faire commerce et de toujours devoir uniquement le manger seul.

Nous étions pris comme dans un blizzard. Impossible de se déplacer le jour, puis les batteries des radios se sont épuisées, nous privant du Masque et la Plume. Au bout d’un mois nous fûmes condamnés à manger nos montures. Le beau temps semblait ne jamais revenir. Seulement deux d’entre nous revinrent à l’avant-poste. La triste réalité est que nous n’avions fait que tourner autour du poème.

Le poème a parfois les mains moites. Pire, il est souvent malpoli et prétentieux. Ivre, il peut s’endormir sur le palier de votre porte, sans avoir eu la conscience de sonner, et vous accuser le lendemain de ne pas l’avoir laissé entrer.

La hausse du prix du paquet de poèmes ne fera qu’augmenter la contrebande, déclare le service des douanes. Aux alentours des gares, dans les stations de métro, sur les aires d’autoroute, se développe un mystérieux réseau parallèle au système officiel, fonctionnant en cellules apparemment autonomes les unes des autres, à la manière d'un recueil.

Il est impossible de raconter une histoire drôle à un poème. Il fixera le sol en ruminant que ce n’est pas de la poésie. Une fois chez lui, il mangera sa soupe puis ira se coucher tout en ruminant que sa soupe n’était pas non plus un poème. Bravo, vous avez fâché le poème.

Deux vieux amis discutent à la terrasse d’un café. Une jeune fille, un poème, passe devant eux avec grâce. Ils ne peuvent plus s’exprimer que par chants. Alors, l’un est Homère, l’autre Virgile. Et cette jeune fille, ce poème, passe comme les vagues s’échouent.

Un jeune journaliste littéraire vient visiter un vieux poète qui a décidé de quitter Paris pour la campagne. Le journaliste, tremblant à l’idée d’interviewer la sommité, sonne à la porte. Un poème l’accueille, lui tend une chaise en lui priant de s’asseoir, puis lui sert un whisky. Le journaliste accepte, s’assoit et prend progressivement de l’assurance. Le vieux poète entre, complètement nu. A la vue du maître dans son plus simple appareil, le journaliste crache son whisky. Le vieux poète lui dit alors : « - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! ».

Lorsque l’eau du poème semble potentiellement être source de dysenterie, préférez l’alcool du réel.

A priori rien ne distingue un touriste d’un poème en vacances. Mais lorsqu’un esprit averti sait reconnaître chez le poème ce regard particulier lorsqu’il est tourné vers la mer, c’est alors qu’il est de son devoir de le dénoncer aux autorités.

Les banques proposent des poèmes à des taux relativement stables. Ce sont les crédits à la consommation de poèmes qui inquiètent. On a pu voir des clients, pourtant raisonnables, mettre trop de poésie dans leur vie. Du coup, il est devenu impossible de les intégrer dorénavant dans les statistiques, puisque l’abus de poème échappe, par définition, aux fonctionnalités du logiciel Excel.

L’ambiance était plus que tendue lors du dernier débat télévisé opposant le chef du gouvernement au chef de l’opposition. « Vous n’avez pas le monopole du poème ! » criait l’un, et l’autre de répondre « Quant à vous, vous n’avez pas celui de l’abstraction ! ». Les deux politiciens ont été séparés par le service d’ordre alors qu’ils s’apprêtaient à s’assommer mutuellement, l’un armé de l’intégrale des Lagarde et Michard, l’autre avec, serrée dans son poing, l’anthologie poétique de Georges Pompidou.

Un promoteur immobilier compte construire un parking à la place d’un terrain vague sur lequel pousse un poème aux fleurs multiples. Mais, même à l’aide d’explosifs, il est impossible de se débarrasser de ses racines, qui plongent jusqu’au plus profond de la ville. Jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que ses fleurs se flétrissent à l’écoute des albums de JUL. Cette pratique barbare provoque cependant l’indignation la plus totale des citadins.

Le poème a beau être le meilleur ami de l’homme, il lui arrive de perdre son pelage soyeux ou d’aboyer sans raison. L’important est de lui procurer une alimentation saine, sans gluten de lieux communs et d’éviter les métaphores indigestes en rapport avec le ciel, les nuages ou les étoiles.

Le poème continue de garnir les rayons de nos supermarchés mais reste extrêmement difficile à trouver, particulièrement après une journée de salariat ; comme si l’existence contemporaine le rendait de plus en plus éthéré et inaccessible. Ce n’est qu’une fois les sens déréglés, selon la fameuse formule rimbaldienne, qu’apparaît miraculeusement le poème, entre les pizzas surgelés et les produits d’entretien.

Il est toujours agréable de recevoir, même en rêve, la carte-postale d’un poème qui donne sur le désert.

Le procès, qui vient de se terminer, entre le poète et le poème a marqué d’une pierre blanche l’histoire de la littérature. Le poète a demandé des dommages et intérêts en raison de la marginalité découlant de sa profession. Le poème a répliqué en accusant le poète de plagiats permanents et de la violation du droit de propriété intellectuelle. La plaidoirie de l’avocat du poème a rappelé aussi que le « poète maudit » n’est qu’une construction artificielle justifiant une posture faussement subversive et confortable. Le plaignant a été sommé par le jury d’aller se trouver du travail et à l’annonce de ce verdict le poète est tombé en larmes.

Le dernier poème de cette série à succès a fuité sur l’Internet avant de rejoindre clandestinement un volume de la Pléiade. On parle d’une perte de plusieurs millions d’euros en revenus publicitaire. Les producteurs accusent le Front de Libération du poème d’avoir organisé l’événement, front qui ne souhaite pas commenter l’affaire.

A l’aide d’un puissant algorithme regroupant l’entièreté des poèmes connus, des scientifiques ont tenté de découvrir de quelle matière le poème est fait. Les résultats ne sont pas concluants : l’algorithme a produit un poème de nature plus mystérieuse encore tout en développant une volonté propre. Doté d’un tempérament doux et mélancolique, les scientifiques ont décidé de le nommer « Eternité ».

Il arrive que des poètes abandonnent leurs poèmes au bord des routes. Mais le poème domestiqué, une fois livré à lui-même, retrouve sa nature première, sauvage et archaïque. Il redevient l’ogre ou le loup des contes, les ombres qui prennent forme lors des terreurs infantiles.
Confidence d’un poème en pleurs : « Il faut davantage craindre la nature humaine que ses effets ».

C’était une douce nuit de mars et cette nuit-là, ils sont venus prendre les poèmes. Dans des camions, les yeux bandés, les poèmes chantonnaient doucement un air poignant. Puis les camions s’arrêtèrent. Des soldats firent descendre les poèmes et on leur retira leurs bandeaux. Il faisait maintenant jour et éblouis par la lumière, ils marchèrent en file indienne jusqu’à des baraquements qui semblaient neufs. Ils étaient arrivés au Printemps des poètes.

Confidence d’un poème en pleurs : « C’est parfois au corps de payer de façon permanente le tribut de l’absence momentané de l’âme. »

Le poète est parfois devant son poème comme devant un adversaire. Sur l’échiquier il avance ses pions, et le poème a déjà deviné ses intentions. Il n’y a aura eu juste qu’un mouvement furtif, pareil au saut d’un chat, devant deux miroirs placés l’un face à l’autre.

Il était impossible à cet alpiniste de mesurer la distance qu’il avait parcouru entre chaque souvenir. Le souvenir est un nœud dans la mémoire, qui est elle-même comme une corde tendue. Entre chaque nœud il n’y avait eu qu’un même effort, répété tant de fois que l’alpiniste en avait perdu la conscience.

Le poète allait être initié au culte du poème. Il entra dans le lieu de la cérémonie, une salle des fêtes en région parisienne. Les poètes présents manifestaient tous les symptômes extérieurs de la dépression. Sur des tables en plastique étaient placé des bouteilles de soda et des biscuits apéritifs. Puis un bruit sourd se fit entendre et l’assemblée plongea dans un profond silence. La cérémonie commença, semblable à celles des Mystères d’Éleusis. Le poète fut ainsi initié aux subtilités du RSA, de l’édition à compte d’auteur, de l’AAH, des refus des maisons d’édition... Il sortit de l’initiation encore en transe, alors que les petits vieux de la maison de retraite à proximité investissaient la salle des fêtes à leur tour, pour leur tournoi de bridge mensuel.

La Nasa s’était finalement décidée à ne pas envoyer de cosmonautes sur Mars, mais plutôt un poème. Les communications, difficiles et brèves, ne se faisaient que par vers. Au fil du temps et au contact de l’ocre de Mars, le poème s’est mis à raconter une histoire, à fabriquer à sa planète d’adoption une mythologie propre, puis à formuler le récit d’une civilisation. Et finalement arriva le jour où le poème avait construit son récit de manière si crédible que les scientifiques de la Nasa se demandèrent si ce n’était pas lui qui les avaient envoyés sur Terre.

Cette fameuse marque poétique a dû faire revenir en usine l’intégralité de ses produits, après le scandale d’un poème défectueux. Ce poème, par un propos jugé « en effet maladroit », selon le service de communication de l’entreprise, avait entraîné chez un consommateur les sensations premières de l’état de fœtus avant qu’il s’estime « comme avoir accouché de lui-même » (selon ses propres mots). Il est toujours sous observation médicale.


A propos de la montée en puissance de la tension entre la Corée du Nord et les États-Unis, un diplomate français, travaillant à l’ONU, nous confiait :« Si en poésie, c’est toujours la guerre, alors la guerre nucléaire qui nous menace n'est rien d'autre que la continuation de la poésie par d'autres moyen. »

« Une politique importante d’investissement d’argent public dans le poème, tout comme dans les manches de pioches, a toujours eu une portée bénéfique sur le long terme. Les chiffres ne mentent pas. » a déclaré, hier, notre ministre de l’économie, lors de son discours d’inauguration d’un nouveau laboratoire à poèmes. Il est ensuite remonté sur son tricycle pour aller accueillir la délégation de la chambre de commerce de Japet, important satellite saturnien.

On peut trouver le poème dans les enseignements, soigneusement illogiques, du maître zen. On peut également le trouver dans certaines équations mathématiques ratées et parfois même, dans les fruits tombés des arbres.

John Stones, responsable du département poétique du MIT, a annoncé la création du premier poème en suppositoire. Lui et son équipe ont fièrement posé devant nos photographes en compagnie de l’objet, d’une taille de 5 centimètres, destiné à remédier aux mélancolies bénignes. Ils envisagent une commercialisation massive d’ici quelques mois.

Un homme veut entrer dans le territoire du poème. On le prévient que c’est un endroit dangereux. Il passe outre. Des loups assoiffés l’accompagne, ils lui mordent les mollets. Puis, ces loups deviennent des agneaux. Les traces de ses pas dans le sable du désert qu’il parcourt se transforment en ruisseaux. Bientôt, l’univers en expansion le suit. Il passe outre. Au centre, l’homme est confronté au poème. Alors il disparaît.

« Est-ce que vous reconnaissez ce poème ? » demanda l’inspecteur. L’homme interrogé répondit : « Oui c’est bien lui. C’est lui que j’ai vu dans l’infime espace entre le sommeil et le réveil. C’était lui que j’ai vu lorsque j’ai cru perdre la vie. C’est lui mon premier souvenir. C’était lui dans la femme que j’ai aimé. C’est lui qui garde la porte. C’était lui la rose qui comprend le monde.  » L’inspecteur lui fit signer sa déposition. L’homme inscrivit une simple croix, puis quitta la pièce, sous le regard songeur du policier.

Le poème partage avec certaines espèces d’oiseaux le fait d’émigrer. Il n’est pas rare, en saison froide, d’assister au spectacle de poèmes en vol vers un climat plus favorable. C’est alors le moment de la chasse pour le poète. Son arsenal a évolué jusqu’au traitement de texte informatique, ce qui peut chagriner les nostalgiques de la plume d’oie ou de la machine à écrire. Une fois abattu, le poème est déplumé et sa préparation diffère selon les particularités régionales : on le publie en revue, en recueil, sur un blog. On en vient parfois à l’illustrer. Mais chez certains, voir cette chose morte résumée en quelques mots suscite un profond dégoût, comme si lui avoir pris la vie lui avait retiré son charme.

Un poème aux jambes maigres d’enfant, monté sur un cerisier, observait au loin. Des hommes aux vêtements dont le poème ne pouvait situer l’époque approchaient. Ils étaient habillés de couleurs que le poème ne connaissait pas. Le poème entendit une musique, avant de comprendre que ce n’était que le bruit de leurs pas. Il descendit de l’arbre avertir les autres poèmes, qui se préparèrent pour accueillir ces hommes en marche. Mais ils traversèrent les poèmes sans s’apercevoir de rien, comme si ils étaient fait d’une autre matière, ou d’un autre temps. C’était pour eux la nuit et la désolation, la pénible marche des hommes, et ils ignorèrent les fruits, les cerisiers ainsi que les champs de blé qui s’offraient à eux. Pourtant, une fois le village traversé, le dernier marcheur se retourna et cru voir, un instant, un paradis perdu.

Il fallait le voir, ce poème dans ses habits sales et trop grands. Il pouvait se passer des mois avant qu’il sonne de nouveau à ma porte. Il crevait de poésie et pour lui c’était comme crever de faim. Quand il venait me rendre visite, je le nourrissais de quelques livres que je possédais mais que je ne lisais pas, et son corps tordu se redressait, ses yeux s’illuminaient de nouveau, sa figure pâle reprenait un teint sain et il me remerciait mille fois avant de me quitter. Un jour, j’appris son décès par un ami commun. Le pauvre être était tombé raide mort devant un de ces poèmes qu’affiche la RATP.

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