Still life
STILL LIFE
1
Le velouté rose pêche est martelé cabossé
et sous la peau fine des meurtrissures des ecchymoses brunâtres s’effilochent
on peut même apercevoir la pulpe sanguinolente devenir encore plus cramoisie près du noyau
à d'autre endroits la chair est intacte, on pourrait se laisser tenter d' y planter les dents ignorant la pourriture qui se propage insidieusement sur l'autre face.
L'assiette sur laquelle le fruit est posé est d'un blanc de faïence immaculé.
2 -Boca que arrastra mi boca
Placé comme un bijou dans son écrin de velours bleu nuit. Qui s'approche trop près pour mieux l'observer sans avoir lu la petite pancarte ne pas toucher, se sentant comme happé par la double valve pâle de cet étrange coquillage légèrement entrouvert, sursaute , soudainement sidéré par l'alarme que déclenche le moindre contact avec cette précieuse bouche ourlée d'une moustache soyeuse. Car ce sont bien deux lèvres qui exercent cet irrésistible attrait, deux lèvres figées et pourtant mues par un souterrain mais bien vivant désir, muettes mais proférant un insondable oracle. Il déploie dans le cœur des galaxies, à d'autres moments le cristal infime d'une matière révélée.
3
Ce sont trois biscuits cylindriques appelés cigarettes russes déposés sur un plat en étain ; deux alignés et le troisième posé dessus les barrant d'un trait horizontal. Un rai de lumière semble percer l'étain.
Les deux parallèles sont une direction, un chemin, l'avenir d'une vie qui t' aurait menée. Mais le troisième les annule, c'est le contraire de l'espérance entrevue, c'est la mort. L'idée que tu te fais quand tu les imagines imbriqués l'un dans l'autre ; c'est le « mon amour » qu'il murmure quand il jouit, et ce trou dans l'étain, ses deux bras qui ne te serreront plus jamais.
4
Sur un guéridon est posé un petit vase bleu cobalt, flacon à sel ou à parfum, taillé en biseaux, resserré en deux endroits et le col légèrement évasé. On y a piqué une longue plume pourpre. A coté un deuxième vase de même couleur, pot à onguent ou cosmétique. De celui-ci pend un collier, ruban de soie noire où sont enfilées de grosses perles d'ambre. Devant, incongru et comme se flattant de son avant-garde, un citron tranché en deux parts égales. Des gouttes de jus perlent des minuscules capsules de sa pulpe comme gorgées d'un liquide solaire et sa peau grêlée d'un jaune outrecuidant se rit des deux vases anciens. Un couteau effilé au manche noir repose, assassin ivre.
5
Le fond est rouge orangé. Devant une table en espèce de formica blond pailleté. Sur une assiette en carton un double hamburger. On voit superposés les deux tranches de viande grisâtre, les coins de cheddar coulant, des touffes de salade ciselée et maculée de ketchup. Au sommet, sur le pain arrondi et parsemé de quelques graines de sésame, petites figurines de plastique, un couple de mariés. Une serviette en papier est pliée près de l'assiette, à côté un gobelet attend son soda où les deux figurines vont se noyer.
6
L'arrière plan est totalement noir comme dans un Caravage. Au premier plan une table en bois maculé, patiné ; peut-être une table de cuisine. Un panier rempli de pommes, un chandelier à trois branches. Les pommes éclairées par la lueur des bougies sont lustrées, rouges griffées de jaune, elles irradient comme des lumignons impérieux, tandis que leurs doubles fantômes s’estompent dans l'ombre. Des stalactites de cire festonnent les branches du chandelier en argent. Un chaton gris joue avec une ficelle accroché à une anse du panier. Le bout de sa queue qui s'approche dangereusement d'une flamme ne grillera pas. Aucune goutte de cire ne se figera sur la table.
7
Sur une table de bistrot deux pressions, une carnet ouvert, les pages couvertes de notes, de croquis, de poèmes, un gant de femme en cuir noir, le pouce replié vers l'intérieur. Rien de plus. Rien à en penser. Une rencontre qui a lieu ici et pour longtemps.
8
Une paire de chaussures en cuir ennuagé de gris avec des brides aux fermoirs semblables à des pièces d'argent antiques aux effigies effacées. Devant un poisson ouvert sur la tranche laissant entrevoir sa chair blanche et veinée. Japonaises ses écailles pareilles aux motifs d'une étoffe moirée et la nageoire caudale, un petit éventail. L'Oeil rond est resté grand ouvert et nul esprit humain ne peut savoir ce qu'il vit dans les fonds marins.
Combien ils ont fait mon cœur de cendre battre le pavé et rejoindre de rêveuses plongées.
9
Sur le rebord d'une fenêtre une fleur dans un verre d'eau. Capitule aux fleurons orange, tige droite trempant dans la transparence de verre. Par la fenêtre un paysage ondoyant aux touches mélangées, luxuriant désordre, inconscient libre de toute entrave, franche tangibilité dont l'âme est saisie quand elle vit de joie. Par quel chemin, pour quel désir, l'humain épouve-t-il le besoin de mettre en exergue la beauté en la séparant de son égarement. Fleur sectionnée dans l'eau capturée.
1
Le velouté rose pêche est martelé cabossé
et sous la peau fine des meurtrissures des ecchymoses brunâtres s’effilochent
on peut même apercevoir la pulpe sanguinolente devenir encore plus cramoisie près du noyau
à d'autre endroits la chair est intacte, on pourrait se laisser tenter d' y planter les dents ignorant la pourriture qui se propage insidieusement sur l'autre face.
L'assiette sur laquelle le fruit est posé est d'un blanc de faïence immaculé.
2 -Boca que arrastra mi boca
Placé comme un bijou dans son écrin de velours bleu nuit. Qui s'approche trop près pour mieux l'observer sans avoir lu la petite pancarte ne pas toucher, se sentant comme happé par la double valve pâle de cet étrange coquillage légèrement entrouvert, sursaute , soudainement sidéré par l'alarme que déclenche le moindre contact avec cette précieuse bouche ourlée d'une moustache soyeuse. Car ce sont bien deux lèvres qui exercent cet irrésistible attrait, deux lèvres figées et pourtant mues par un souterrain mais bien vivant désir, muettes mais proférant un insondable oracle. Il déploie dans le cœur des galaxies, à d'autres moments le cristal infime d'une matière révélée.
3
Ce sont trois biscuits cylindriques appelés cigarettes russes déposés sur un plat en étain ; deux alignés et le troisième posé dessus les barrant d'un trait horizontal. Un rai de lumière semble percer l'étain.
Les deux parallèles sont une direction, un chemin, l'avenir d'une vie qui t' aurait menée. Mais le troisième les annule, c'est le contraire de l'espérance entrevue, c'est la mort. L'idée que tu te fais quand tu les imagines imbriqués l'un dans l'autre ; c'est le « mon amour » qu'il murmure quand il jouit, et ce trou dans l'étain, ses deux bras qui ne te serreront plus jamais.
4
Sur un guéridon est posé un petit vase bleu cobalt, flacon à sel ou à parfum, taillé en biseaux, resserré en deux endroits et le col légèrement évasé. On y a piqué une longue plume pourpre. A coté un deuxième vase de même couleur, pot à onguent ou cosmétique. De celui-ci pend un collier, ruban de soie noire où sont enfilées de grosses perles d'ambre. Devant, incongru et comme se flattant de son avant-garde, un citron tranché en deux parts égales. Des gouttes de jus perlent des minuscules capsules de sa pulpe comme gorgées d'un liquide solaire et sa peau grêlée d'un jaune outrecuidant se rit des deux vases anciens. Un couteau effilé au manche noir repose, assassin ivre.
5
Le fond est rouge orangé. Devant une table en espèce de formica blond pailleté. Sur une assiette en carton un double hamburger. On voit superposés les deux tranches de viande grisâtre, les coins de cheddar coulant, des touffes de salade ciselée et maculée de ketchup. Au sommet, sur le pain arrondi et parsemé de quelques graines de sésame, petites figurines de plastique, un couple de mariés. Une serviette en papier est pliée près de l'assiette, à côté un gobelet attend son soda où les deux figurines vont se noyer.
6
L'arrière plan est totalement noir comme dans un Caravage. Au premier plan une table en bois maculé, patiné ; peut-être une table de cuisine. Un panier rempli de pommes, un chandelier à trois branches. Les pommes éclairées par la lueur des bougies sont lustrées, rouges griffées de jaune, elles irradient comme des lumignons impérieux, tandis que leurs doubles fantômes s’estompent dans l'ombre. Des stalactites de cire festonnent les branches du chandelier en argent. Un chaton gris joue avec une ficelle accroché à une anse du panier. Le bout de sa queue qui s'approche dangereusement d'une flamme ne grillera pas. Aucune goutte de cire ne se figera sur la table.
7
Sur une table de bistrot deux pressions, une carnet ouvert, les pages couvertes de notes, de croquis, de poèmes, un gant de femme en cuir noir, le pouce replié vers l'intérieur. Rien de plus. Rien à en penser. Une rencontre qui a lieu ici et pour longtemps.
8
Une paire de chaussures en cuir ennuagé de gris avec des brides aux fermoirs semblables à des pièces d'argent antiques aux effigies effacées. Devant un poisson ouvert sur la tranche laissant entrevoir sa chair blanche et veinée. Japonaises ses écailles pareilles aux motifs d'une étoffe moirée et la nageoire caudale, un petit éventail. L'Oeil rond est resté grand ouvert et nul esprit humain ne peut savoir ce qu'il vit dans les fonds marins.
Combien ils ont fait mon cœur de cendre battre le pavé et rejoindre de rêveuses plongées.
9
Sur le rebord d'une fenêtre une fleur dans un verre d'eau. Capitule aux fleurons orange, tige droite trempant dans la transparence de verre. Par la fenêtre un paysage ondoyant aux touches mélangées, luxuriant désordre, inconscient libre de toute entrave, franche tangibilité dont l'âme est saisie quand elle vit de joie. Par quel chemin, pour quel désir, l'humain épouve-t-il le besoin de mettre en exergue la beauté en la séparant de son égarement. Fleur sectionnée dans l'eau capturée.