Rapport avec la nature
Le dépérissement progressif des feuillages vers l’automne. Des doigts caressent longuement d’autres doigts. Dans la lumière de l’aube un passereau gravit consciencieusement la longue branche d’un hêtre. On peut se joindre à la danse lumineuse du brouillard et du soleil.
Où m’emmènes-tu maman ce soir ?
Surprise !
Dans la tiédeur du soleil, l’après-midi, on mange des confiseries au chocolat. On voit l’héroïsme de certains arbres à arborer leurs dernières médailles de feuilles pendant que l’automne décime les végétations. La tempête s’infiltre dans les interstices du mur.
J’ai peur.
Oui, il y a de quoi.
Elle connaît bien la route pour l’avoir déjà empruntée autrefois. Quand le chat tomba de la fenêtre, on le retrouva sur le talus, un oiseau mort dans chaque griffe. Mais le temps s’arrange toujours jusqu’à la prochaine tempête. Ouvrons grand la cage aux oiseaux, leur savoir nous échappe.
Quelle robe vas-tu mettre ?
Celle avec…
Ah non pas celle-là, j’ai honte !
On voit mieux les maisons dans l’entrelacs des branches mortes. Dans cette grisaille immobile affluent les souvenirs gris. Chuchoter dans le soir en écoutant la pluie. Une caresse presque irréelle pour qu’elle touche plus loin. Arrivent, à cette époque, comme chaque année, les bourgeons et leurs promesses de vitalité, malgré la guerre, la pauvreté. Dehors il fait vilain, rentrons, jusqu’à ce que la nostalgie du dehors frappe à la porte.
Tu pourras me montrer maman ? Je ne te quitterai pas des yeux.
Un dimanche entier de crachin, ça déculpabilise le casanier. Au-dessus des blés, les arbres ressemblent à une armée de fantômes.
Est-ce que je devrai boire ?
Oui, ce serait préférable.
Puis le bon dieu passe au piano forte, les gouttes frappent violement les flaques.
Tu en as de la chance, ma fille, j’aimerais être à ta place.
La façade de la maison dans la lumière de l’éclairage public, est comme une bouée de secours dans l’océan de la nuit.
Surtout ne te bichonne pas trop, reste naturelle. Ils auront été triés sur le volet, en un même endroit, d’un coup, tu vas trouver le must !
L’obscurantisme des nuits est insupportable avant la naissance difficile du jour. Et on peut être pris de stupeur devant la lune hirsute. La mère est jalouse de la fille.
Pourquoi tu m’as laissée traverser le salon toute seule ? Je ne savais plus où poser mon regard.
Mais secouer la tige d’une fleur pas encore éclose, est comme une promesse qui va se réaliser. Où avait-elle appris comme çà à butiner le roseau ?
J’ai chaud, trop chaud !
C’est normal, calme toi !
Une corneille sur sa branche, dans la ville, supplie qu’on la regarde. Le vent chaud brasse les feuillages et déboussole les têtes. Les rayons du soleil accrochent une grue sur le chantier. Un ciel entier de fleurs rentre par la baie vitrée.
Surtout tu me regarderas bien faire.
Mais je ne t’ai jamais vu maman !
Regarder le temps chaque matin, ce serait comme ouvrir un livre nouveau. Dans la rigidité froide du matin, les infirmières trottinent pour prodiguer leurs soins.
C’est celui-là que je voudrais !
Moi aussi !
On ne va pas se chamailler !
C’est dans la ligne du paysage qu’on peut comprendre la complexité des hommes.
Pourquoi tu m’as faite passer par le salon ? C’était dégoûtant !
La naissance, conduisant à la mort, nous donne une jambe en plus pour traverser la vie. Alors caressons les petits chats comme une création du monde. Le vert des premières feuilles aux arbres est tendre. Et marcher face au soleil, dans la brume, avec notre ombre qu’on tire derrière soi est une image épique.
Laisse-toi conduire ma fille, des comme ça tu en as jamais vu ! Moi à ton âge…
La pluie incessante sature l’emploi du temps. Les visages des sexagénaires sont souvent abîmés par les soleils passés.
T’en as déjà connu des comme ça ? Hein ? Réponds !
Oui beaucoup.
Alors raconte !
Des phrases glissent sans fin sur le papier mouillé de sa conscience. Personne n’est à l’abri d’un faisceau de soleil qui vous transcende. Ressasser des phrases pour les rendre acceptables, c’est une manière d’écrire ! La pluie cinglante qui vérole les vitres trouble aussi notre vision du ciel.
Je ne t’ai jamais éduquée ainsi.
Je ne serai jamais assez courageuse.
Mais si mais si.
Seuls les arbres remuent dans l’immobilité d’un jour férié. C’était un petit village en Ile-de-France. La façade de la maison ne payait pas de mine. Un moineau vient faire une pose rapide sur la « pissette » du balcon.
Quand je suis seule le soir j’y repense. Toi tu es dans ta chambre, insouciante…
Il est 18h 30. Des voitures sont garées sur le trottoir. L’air froid où dorment les animaux ferait du bien à l’esprit. Les flaques d’eau sont comme des yeux du ciel abandonnés aux hommes. Puis un jour la mère surprend sa fille.
Qu’est-ce que tu fais ?
Je pars en vacances.
Toute seule ?
Non avec lui. Parce que je l’aime, moi !
Il y a des dimanches matin aussi étincelants qu’une argenterie sur la nappe bleue du ciel. Danser avec l’autre c’est comme feuilleter un beau manuel de géographie.
Tu l’aimes ?
Les inondations immenses se transformeront en glace autour des maisons, elle pense, la mère. Pourquoi ce sont toujours les tours et les donjons qui reçoivent le soleil en premier ? Il pleut, il fait gris, rien ne bouge, sauf la pluie. Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors, râle le sdf.
La fille s’en va.
Et un mimosa qui fleurit en avance lutte contre l’Eternité hivernale.