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Au lieu d’écrire, je voudrais réciter un court texte d’excuse, face à une caméra. On n’entendrait rien de ma voix qu’un grésillement lointain. Elle serait là, mais recouverte par la voix d’un homme qui dirait que c’est moi en train d’avouer que j’ai menti. Tout le monde verrait combien c’est difficile de maintenir le mensonge, et surtout l’insolence, le refus des activités normales. Tout ça à cause d’une idée idiote : l’impression d’être destiné à autre chose. Et le néant qui s’ouvre devant soi quand on s’aperçoit qu’il n’y a aucun public à tenir en haleine. Pendant dix ans, j’ai vécu en ignorant cette malformation : j’ai cru que j’étais un écrivain. Alors que chacun des mots qui sortaient de moi étaient voués à une négation instantanée. Est-ce que tu meurs à la fin de ton roman ? me demandait Charlotte, en faisant le geste de l’écriture, avec sa main. En silence, moi je recopiais, je m’étais mis à voler des livres, chez des amis et des gens de ma famille, des hommes avec qui je venais de passer la nuit. J’amassais. Je me demandais pourquoi aucun écrivain n’avait dit combien c’est triste d’écrire un premier livre. Triste de penser qu’on est aimé par des faibles.