Le dernier voyage de la mouche

par Périscope @, dimanche 25 mars 2018, 16:48 (il y a 2435 jours)

Le dernier voyage de la mouche


Le fond de l’air sentait la pomme, bien que les vergers soient loin de l’autre côté des haies, et l’après-midi commençait à faire luire ses ors. Elle était assise. Pour une fois ses fesses écrasaient l’herbe touffue sans la protection d’un plaid. Ses jambes allongées parfois servaient de terrain d’atterrissage aux insectes nombreux dans le secteur. Ses doigts s’activaient, serrant machinalement les aiguilles. Elle ne savait plus trop bien à quoi ses mains étaient occupées, mais elle les occupait.

Regardait-elle là-bas devant elle ? Certes son visage embrassait l’espace ouvert, lumineux, chatoyant. Un peu d’ombre empêchait de questionner ses orbites et ses yeux très clairs comme la plupart de ceux de cette région. Sa silhouette n’était pas massive, elle se glissait facilement dans la paysage rural. Elle n’aimait pas spécialement la rivière, mais elle devait l’adopter. Elle en supportait l’écoulement, pourvu qu’il soit régulier. Le reflet scintillant l’éblouissait, toutefois c’était l’humidité qui attaquait et gonflait ses narines déjà épaisses en lui déclenchant d’interminables éternuements.

Et les berges de la rivière salissaient les chaussures, elle le suppliait, lui, d’enlever ses bottes crottées, quand il rentrait le soir après avoir arpenté toute la journée les bords de la rivière, au milieu des roseaux, des herbes grasses, ramenant des limaces dans les plis de son pantalon, mais il était jovial et devant ce sentiment de joie elle n’osait pas faire barrage davantage.

Dans la clarté crépusculaire elle devinait son ombre au loin, et celle d’un enfant qui le suivait, sans courir, précautionneusement. L’autorail passait sur le viaduc, lâchant des coups de sifflet qui la faisaient sursauter. C’était l’heure où les employés rentraient du travail. Elle les enviait, car ils n’étaient pas ici sur un talus de luzerne, à être rongé par l’humidité du soir qui tombait de plus en plus poisseuse. Ses doigts tricotaient, cette activité la statufiait dans le paysage.
Elle ne savait pas quand ils allaient revenir. Elle ne voulait pas encore s’imaginer ce que cette journée pourrait avoir de fructueux, ce qu’elle réserverait dans la soirée, le bénéfice qu’on pourrait en tirer, le réchauffement des cœurs, des membres qui s’en suivrait, paix, contentement, l’harmonie autour d’une table, et déjà la projection de renouveler une pareille journée dès que le temps le permettrait.
Quand le temps était orageux, c’était celui qui convenait le mieux. Elle détestait l’orage. Elle détestait la campagne. Elle aimait sa maison entouré d’un jardinet bien entretenu, avec les fleurs judicieusement choisies, dont lui s’occupait avec méthode.

La mouche se posa sur la surface lisse de l’eau, se laissa dériver doucement par le courant. Elle voyait les rives, les arbres qui projetaient leurs grandes ombres, des pucerons qui menaient la danse au-dessus de l’eau, l’eau elle-même qui n’était pas trouble, la mouche, de tous ses yeux, absorbait le paysage, et le ciel dont elle avait voulu pour un moment déserter les flux de l’air, au profit de ceux de l’eau qui lui faisaient replier ses ailes et qui l’emmenaient en bateau, puisque minuscule esquive, elle pouvait se croire bercer mollement par l’onde, où elle se reposait, reprenant des forces pour de prochains vols zigzaguant et stridulant.
Ils ne la quittaient pas du regard, eux, sur la berge. Ce petit point noir dans les reflets aveuglant d’un soleil encore vivace, il était comme une perle charbonneuse, la seule qui les intéressait, dans une rivière de diamants. Puis, plouf, voilà que tout d’un coup un happement sec, brutal, venant du dessous de l’eau, avala la mouche. Ce fut soudain et désastreux comme un cataclysme. L’enfant cria. « Tu sais c’était une mouche artificielle » il expliqua aussitôt à l’enfant. Puis il tira sur la ligne.

Elle ne voyait rien, elle ne pouvait pas rentrer dans leur histoire. Dans le parfum acide des pommes qui planait, elle était du côté des haies et des bouchures, non loin du chemin par lequel elle attendait de repartir. Sur ses épaules, un châle. Les lunettes aux verres fumées protégeaient ses yeux que la lumière n’épargnait pas. Une obstination étrange la fixait là, qu’on pourrait appeler l’instinct d’un devoir.

Quelques temps après ils arrivèrent. Lui, ses bottes couinant dans l’herbe aqueuse. L’enfant vint se mettre à sa hauteur, tous deux ils s’affichèrent devant elle. « Voilà deux truites ! » il dit, lançant sa musette encore trépidante à côté d’elle. « Autrefois, j’en aurais ramené une douzaine, mais l’époque a changé ». Elle acquiesça de la tête. « Tiens, viens ici, pour voir si ça te va » elle demanda à l’enfant. Elle mesura sur lui le pan de pull over qu’elle venait de tricoter. « Tu aimes les couleurs ? ».

Le soir, dans la salle à manger, ils partagèrent les deux truites, agrémentées de quelques amandes. « Faites attention aux arêtes ! » elle dit, en ajustant ses lunettes sur ses narines gonflées. Lui, avait mis un disque des Valses Viennoises sur l’électrophone. Il savait qu’elle aimait beaucoup les valses viennoises. L’enfant triait ses morceaux de poisson avec un air inquiet. « Peut-être qu’on va retrouver la mouche qu’elle a avalée » on l’entendit murmurer.

Le dernier voyage de la mouche

par sobac @, lundi 26 mars 2018, 10:24 (il y a 2435 jours) @ Périscope

jolie peinture rupestre, l'art de pêcher à la mouche, on est plongé dans un temps ou on le prend sans courir juste le plaisir de

les passionnés collectionnaient les leurres avec dévotion

Le dernier voyage de la mouche

par dh, lundi 26 mars 2018, 10:54 (il y a 2435 jours) @ Périscope

j'ai stoppé ma lecture à "l’après-midi commençait à faire luire ses ors."

quand quelqu'un écrit "l’après-midi commençait à faire luire ses ors." , je sais que c'est inutile de continuer.

Le dernier voyage de la mouche

par Myrtille, lundi 26 mars 2018, 14:15 (il y a 2435 jours) @ dh

Un skieur peut commettre une erreur dans un virage et continuer en faisant un sans faute, d'où l'intérêt d'aller jusqu'au bout. C'est vrai pour toute les disciplines même celle de l'écriture.

Le dernier voyage de la mouche

par div, lundi 26 mars 2018, 21:12 (il y a 2434 jours) @ Myrtille

les araignées sont attirées par la chaleur des cheveux

Le dernier voyage de la mouche

par Périscope @, mardi 27 mars 2018, 09:34 (il y a 2434 jours) @ dh

Pourrais-tu, dh, expliquer un peu plus, car je trouve ta réaction facile et très méprisante

Le dernier voyage de la mouche à merde verte

par d i v, mardi 27 mars 2018, 11:22 (il y a 2434 jours) @ Périscope

petite merde
petite mouche
verte à merde
que dis-je...
vous êtes drôle vous les artistes
un jour
au mois d'aout
vous m'avez répondu ça
suite à un texte
que j'avais posé là
comme tout le monde
très directement
voici
votre réponse :


[ désespérance en lisant cette colonne

cette disposition permet l'alignement verticale des associations
des détails de vie

une colonne qui doit faire du bien à son auteur
et encore...

l'écriture n'a jamais été une thérapeutique

alors ne reste que l'acte de l'avoir fait pour transmettre à l'autre ses "miasmes" ]


une réponse visiblement facile et très méprisante...

comme quoi
on peut être une mouche et une pure merde
et inversement

quand c'est trop bien écrit
moi ça me dégoute

Le dernier voyage de la mouche

par dh, mercredi 28 mars 2018, 09:26 (il y a 2433 jours) @ Périscope

j'éprouve de la répulsion pour cette phrase car je la trouve kitsch.

sur le kitsch, voir ce qu'en dit kundera dans l'art du roman.

Le dernier voyage de la mouche

par catrine @, lundi 26 mars 2018, 20:18 (il y a 2434 jours) @ Périscope

mh.. dis, est-ce une démonstration forme/fond de la maîtrise "queue de poisson"
je demande parce que ..ce n'est pas ton premier texte déposé ici qui "joue" avec.. ce genre non-genre

Le dernier voyage de la mouche

par au phil de la vie, lundi 26 mars 2018, 20:57 (il y a 2434 jours) @ Périscope

ts(é)-ts(é)