route

par seyne, jeudi 24 mai 2018, 00:34 (il y a 2376 jours)

...

La deuxième panne, c’est dans cet endroit si beau, au bord de l’autoroute, d’où on voit de très loin la Cité de Carcassonne, dont certaines tours ont été étrangement zébrées de jaune fluo, et où je viens de m’arrêter quelques instants. Longues herbes qui ondulent, vent tiède, soleil embrumé, et le petit muret de pierre sur lequel je m’assieds en attendant la dépanneuse, plutôt gaie. C’est la deuxième fois de la journée. Cette fois il a fallu passer par la police nationale, puis par la gendarmerie. Une fois démarrée avec les cables, puis une fois changée la batterie au Norauto que m’a aimablement indiqué le dépanneur (une demi-heure avant la fermeture du long week-end), je continue mon voyage. Il faut contourner Toulouse, et puis on va toujours vers l’ouest.
Au fur et à mesure, l’autoroute fait place à une quatre voies, puis à une route large et sinueuse qui dévoile les longues collines, au loin. Une bande de nuages flotte au-dessus de l’horizon, de plus en plus sombres. J’admire les rideaux mouvants de pluie qu’on devine, de place en place, et vers lesquels je me dirige. Quelques aimables averses de soirée semble-t-il, il fait si chaud encore.
La lumière baisse d’un seul coup tandis que le pare-brise s’étoile. Mais il ne s’agit pas de pluie : une trombe de grêle comme je n’en ai jamais vue enveloppe la voiture, tapisse la route, la longue file de phares brouillée, devant moi, est presque à l’arrêt. Des torrents de boue couleur de caramel envahissent la chaussée, certaines voitures s’arrêtent sur le bas côté. Je mets la clim à fond, glaçante, pour évacuer la buée. Il faudra bien dix minutes pour tout traverser…
Après, c’est la dernière partie du voyage : une petite route qui s’enfonce de plus en plus profondément dans la campagne, bien aimée et toujours secrète à mes yeux, bien que je la connaisse depuis toujours. Je l’ai toujours vue comme un refuge si le monde devenait fou, un endroit où se cacher. J’arrive sur la colline et plonge dans le crépuscule vers la vieille ferme, où on m’attend.
J’ai mis 11h pour faire 500 kilomètres, et pourtant tout n’a cessé de me sembler si propice, accordé à ce qui doit être.

route

par dh, jeudi 24 mai 2018, 09:36 (il y a 2376 jours) @ seyne

belle évocation d'un trajet.

impression de paix et de sérénité.

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par sobac @, jeudi 24 mai 2018, 10:25 (il y a 2376 jours) @ dh

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par seyne, jeudi 24 mai 2018, 19:07 (il y a 2375 jours) @ dh

oui, et c’est le contraste avec la cascade d’emmerdements qui m’a donné envie de l’écrire.

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par au phil de la vie, jeudi 24 mai 2018, 19:49 (il y a 2375 jours) @ seyne

j'ai trouvé chouette aussi

oui, avec ce contraste

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par Périscope @, samedi 26 mai 2018, 10:38 (il y a 2374 jours) @ au phil de la vie

une si mauvaise route crée un "traumatisme" qui donne envie de l'écrire, (moi-même j'en ai fait l'expérience)

ton texte n'élude pas quand même le plaisir de la description (sensations au paysage)
cette description refait donc exister ce qui aurait pu mourir

après l'orage, après le tunnel, la lumière d'autant plus lumineuse

c'est une Odyssée, la paix que retrouve Ulysse à Ithaque

il est toujours surprenant comment la structure des mythologies pétrit nos schémas

c'est bien, réconfortant, une identité profondément culturelle

la dernière phrase de ton texte est aussi troublante

route

par seyne, samedi 26 mai 2018, 18:36 (il y a 2373 jours) @ Périscope

Ce serait long pour te répondre complètement, intéressant quand même parce que cela renvoie à la question du bonheur.
J’ai remarqué qu’il apparaît assez peu quand tout se passe comme on l’avait prévu, programmé. L’imprévu, les ennuis qu’on parvient à surmonter, quand cela entre en résonance avec une certaine humeur intérieure et une certaine beauté extérieure, donnent des moments inoubliables. Surtout si on est aidé pour cela par des gens avec qui passe un petit courant de sympathie, ce qui a été le cas.

Il faut dire aussi l’importance des liens. Par exemple pour cette journée : j'allais à une « cousinade  » où je savais que j’allais revoir deux de mes cousins germains que je n’avais pas revus depuis longtemps. Je savais que tout se passerait bien comme chaque année depuis 11 ans. Et puis mes liens avec les lieux aimés depuis toujours, cette ferme, ce pays, aussi.
Et puis lors d’une halte un échange de mail, ces liens qu’on noue par internet, leur étrangeté et leur durée.

Tout cela concourait à cette atmosphère presque mythique, mythologique, tu l’as très bien dit. Une forme de magie qu’on sent parfois.

Il y a quelques années j’essayais de saisir ces instants, j’appelais ça « journal réel », je vais essayer de le reprendre. Le bonheur, c’est une question qui en vaut la peine :)

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par seyne, samedi 26 mai 2018, 22:09 (il y a 2373 jours) @ seyne

Je me souviens que j’ai arrêté parce que j’avais le sentiment de donner une vision idéalisée de la réalité. Il s’agissait bien de célébrer quelque chose, mais quelque chose de particulier, de discontinu, difficile à saisir mais emblématique. C’est le temps de la poésie.

Quand je raconte cela par exemple, n’apparaît pas la façon dont le handicap et la folie ont déchiré le tissu de ma famille, les raisons pour lesquelles je n'avais pas revu mes cousins depuis si longtemps. Ni le fait que c’est une mort qui avait « réparé » les liens. Pourtant c’était présent en arrière-plan, dans mon esprit, et donnait peu d’importance à une batterie défaillante. Le roman pourrait dire cela, parce qu’il exprime la continuité, la complexité.

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par Périscope @, dimanche 27 mai 2018, 11:33 (il y a 2373 jours) @ seyne

On dit souvent que le bonheur n'est pas représentable.
Il échappe toujours. On écrit que par manque et "souffrance"...
Le bonheur serait "etre" dans ce qu'on fait, c'est tout, comme disent les mystiques.


Pourtant on veut laisser une trace, témoigner, partager

Au cœur de se qu'on fait, l'artiste aussi est dehors, voyant, rongé par le besoin
d'exprimer, cette conscience là,

que ne possède sans doute pas l'animal...

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par au phil de la vie, mardi 29 mai 2018, 20:58 (il y a 2370 jours) @ au phil de la vie

je cherche le prisme « luttons, unissons-nous » ici, il est forcément quelque part...

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par Casimir, dimanche 03 juin 2018, 04:33 (il y a 2366 jours) @ seyne

Perso, je trouve que ça manque d'intention.

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par seyne, dimanche 03 juin 2018, 22:22 (il y a 2365 jours) @ Casimir

Tu n’as pas tort.