Poème
La Poésie se lève toujours de bonne heure
Elle ne garde ni chemise de nuit, ni robe de chambre
Elle se libère des incertitudes du sommeil,
bien qu’elle traîne avec elle les franges floues qui nimbent les choses de la nuit
La Poésie s’assoit au bureau et pose dessous ses pieds glacés sur un coussin de velours
Elle ne regarde pas la fenêtre qu’elle entrouvre,
simplement elle laissera passer les mots de brume,
le vent frisquet qui confère un air de baptême à la nature
les chats qui feulent, les oiseaux piaillant à tue-tête, un ronflement lointain de moteur
donneront à la Poésie ses alexandrins, ses vers libres, sa prose qu’elle fait rimer avec overdose
De ses doigts de la grammaire elle fait un clavecin
Sur l’écran de l’ordinateur s’accumulent des parchemins
Du monde qui s’éveille la Poésie recueille ses larmes de placenta,
sa vérité à la source quand les bulldozers n’ont pas encore barbouillé le ciel
Elle va se faire infuser une tisane, la Poésie, avant que le premier bus sillonne la ville
Elle ne mange pas, elle ne fume pas, la Poésie, elle suce des pastilles poétiques au miel
Elle s’allume une bougie dans la grisaille de l’aube
Elle écoute gargouiller la tuyauterie de l’immeuble,
les bruits de chaussures d’un fêtard qui rentre se coucher
La Poésie est le consciencieux bloc-notes des actes manqués
Puis quand la famille des hommes à son tour se lève,
elle, la Poésie, s’agrippe à son silence, son désert,
la Poésie par ses phrases de fumée essaie de retarder l’agenda du jour
Elle pose un baiser sur les humains
avant de revenir au pianotement des concepts, des idées,
qui sont la chair voilée de la poésie
Quand la fatigue la prend
elle va alors commencer à travailler
enlevant son tablier d’encre, de verbes, de synonymes,
pour revêtir celui de la Réalité, sœur de la Poésie.