à Rodrigue

par seyne, dimanche 16 décembre 2018, 10:08 (il y a 2169 jours) @ Rodrigue

C'est quand même assez extraordinaire la communication...en lisant ton commentaire du texte de Pierre j'ai vu presque exactement les images que tu développes ici, celle de la voix qui s'élève et réduit à un brouhaha de médiocrité celles qui l'entourent. Un moment, j'ai été assaillie du même profond découragement : à quoi bon écrire, je ne suis pas le genre de personne qui écrit des choses vraiment belles et saisissantes, d'ailleurs je n'arrive pas à m'y mettre, et puis à quoi bon delivre, ce que j'y fais, ces écritures hésitantes, d'"amateurs" ?
Puis je suis passée à la colère contre toi, "ce genre de gens qui ne peuvent faire un compliment sans en abaisser d'autres". Mais comme c'était toi et qu'on a pas mal échangé, je me suis dit que tu étais en train de nous transmettre quelque chose de très sombre que tu ressentais à propos de toi et je suis allée repêcher ton livre.

Je me souviens toujours de ce que me disait un ami écrivain, celui dont le nom soudain apparu m'a poussée à reprendre la poésie : il me disait qu'avant d'écrire il lui fallait toujours se battre contre ces voix qui disent : "c'est nul, c'est fade, ça a déjà été écrit cent fois, tu n'es qu'un imposteur". Il a posé devant un panneau où il avait écrit : "L'écriture est un sport de combat".

Ces voix, ce sont les voix de la dépression qui nous accompagne toujours, qui définit un idéal, une étoile, et une échelle en dessous à laquelle on tente misérablement de grimper, retombant toujours. Il y a "ceux de tout en haut", le plus Fort, la plus Belle, la Voix sublime et singulière, et puis il y a la foule des nuls, médiocres etc...qui feraient mieux de se taire, de se cacher dans l'ombre. En haut de l'échelle il peut d'ailleurs y avoir "moi autrefois", quand j'écrivais des choses magiques, sans effort où presque, baignée par l'inspiration.

Mais quelquefois, je crois qu'on peut penser autrement. Par exemple, s'il y a une évidence c'est que ni Pierre ni Rimbaud ni personne ne pourra écrire ce que j'écris, avec la voix que j'ai et que j'essaie de faire résonner aussi justement que possible. Et encore plus profond : personne ne pourra témoigner de ce que j'ai vécu, de ce moment particulier, unique, de cette émotion complexe dont j'essaie de témoigner dans ce texte, de cette rêverie qui m'est venue du fond de mon esprit. Je me suis rendu compte que les moments sur lesquels j'ai écrit deviennent inoubliables, ne s'enfoncent pas dans le temps.

Et rien d'autre ne pourra en témoigner. Quand j'essaie de parler de ton livre, j'en dis des choses, mais le plus important, l'émotion particulière que j'ai ressentie, la beauté terrible dont je parle, on ne peut les sentir qu'en le lisant, elle ne ressemblent à aucune autres. Et on sent le travail que tu as fait pour y parvenir : pesant chaque mot, chaque article , élaguant, tâtonnant sur une paroi invisible, pour lire ses anfractuosité. Et je ne peux pas imaginer que tu ne l'aies pas fait avec un étrange bonheur, qu'on ne trouve nulle part ailleurs


Alors, à bas l'image des premiers de cordée, vive les gilets jaunes, les gilets de l'enfer ! Car que serait le monde sans leur diversité ?
C'est vrai aussi pour l'art je crois.

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