Dimanche au jardinet des roses

par Périscope @, mercredi 12 juin 2019, 18:53 (il y a 1991 jours)

Dimanche au jardinet des roses

Tellement de gravillons chantant sous nos semelles.
Des arceaux pleins, chargés de roses ouvraient l’allée.
Les pivoines bulbaires généreuses remplissaient le parterre. Ah ! leur cœur épais, leurs lèvres écloses !
Des œillets dentelés de bonheur agitaient leur tête quand les humains passant les frôlaient de leur attention.
Même les dahlias laissaient place aux pensées et aux narcisses pour qu’ils débordent des plates-bandes.
Que dire aussi du mimosa ? Ses feuilles sensibles qui se refermaient rien qu’à les regarder. Et le liseron commun, ici, il se tortillait d’aise au treillis de la tonnelle.
Dans le milieu de la pelouse une balançoire.
Dans des carrés bordés d’azulejos des semis de fraisiers.
Dans les corbeilles des gerbes de clématites, leur gorge odorante, leur collerette rouge velours.
Dans des vasques en grès une foultitude de pâquerettes, piquées de soucis, sous l’ombrage des spacieux soleils.
Dans le potager un peu de valériane et des plants méticuleux de verveine.
Parfois un chaton en stuc, quelques nains malicieux, et une biche rognée de moisissure, immobile, sourde à nos appels.
Couleurs. Parfums. La fragilité des berceaux éphémères.
Pipi je voulais ! Mais aucun endroit. Papa marchait, boitillant à cause de son fémur. C’était beau, là où maman nous emmenait.
Une véranda jouxtait la maisonnette. Toc toc au carreau faisait maman. J’avais le cœur battant. Toc toc et pipi en moi se confondirent.
Personne d’abord ne nous répondit. Une floraison de silence s’abattit, agaçant papa. Un nain me tirait la langue. Un chat gardait sa patte levée. Cette beauté fraîche partout sans utilité. Dans un coin, entre deux rosiers, je lâchai un pipi.
Dans le paradis friable.
Sous la véranda, une table de bois. La toile cirée qui la recouvrait était usée. Les meubles modestes avaient été repeints de blanc. Tout était bien rangé. Un ruban de plastique suspendu au plafond tirebouchonnait. Un régiment de mouches s’y était collé.
Maman devint nerveuse. Le doute s’installa.
Le rideau de perles qui séparait la maison du jardin était fabuleux. Il bougeait. Comme si on venait de passer. Il bougeait encore d’une présence. Ca c’était le secret de maman, je pensai. De l’invisible qui déplaçait les choses. Et maman occupait son temps à remettre en place les choses. Elle criait, rouspétait. Dans notre appartement de la ville, le désordre la mettait hors d’elle. Aujourd’hui dimanche, au jardinet des roses. Elle commencerait à soigner son passé.
Il était immanquable qu’entre les perles du rideau, dans la pénombre, se devineraient les habitants de la maison. Leur respiration. Leur lenteur. L’attente.
Peut-être une crainte.
Nous aurions dû prévoir une chanson. Un petit air d’autrefois qui rassure les enfants quand la nuit tombe.
« Il y a quelqu’un ? » fit papa. Il avait pris sa voix la plus douce. Jamais je l’avais entendu ainsi. Aujourd’hui dimanche. Sa voix du dimanche au-milieu des fleurs et des biches et des nains et des chatons la patte en l’air.

Dimanche au jardinet des roses

par sobac @, jeudi 13 juin 2019, 13:42 (il y a 1990 jours) @ Périscope

un texte plein d'empathie, la nature est belle, quand le jardin fleurit
et les roses éternelles

Dimanche au jardinet des roses

par Florian, lundi 17 juin 2019, 10:46 (il y a 1986 jours) @ Périscope

Et donc là le lecteur pénètre le corps d'une émotion particulière. Grâce à la situation qui est décrite un sentiment précis s'élabore lentement. Il devient indéniable, évident. La petite enfance est en nous, elle nous suit et des images, des situations nous y mènent, même avec des figures absentes.

Dimanche au jardinet des roses

par Périscope @, lundi 17 juin 2019, 18:16 (il y a 1986 jours) @ Florian

merci Sobac et Florian pour vos commentaires

mais il faut croire que la sérénité et l'empathie
n'attirent pas beaucoup le lecteur

vos commentaires sont d'autant plus précieux

Dimanche au jardinet des roses

par annie, mercredi 19 juin 2019, 11:09 (il y a 1984 jours) @ Périscope

J'ai du mal à croire que toutes ces fleurs s'épanouissent en même temps : les narcisses sont de puis longtemps fanées au temps des roses, et les dahlias se feront encore attendre un moment. (Peut-être un climat de rêve !)
Et je dénie que la beauté soit jamais sans utilité.
"Cette beauté fraîche partout sans utilité."

Ceci posé j'ai beaucoup aimé ce poème, la sensibilité qui s'y exprime, et le mystère. Tant de choses qui touchent sans qu'on les comprennent.

Dimanche au jardinet des roses

par seyne, mercredi 19 juin 2019, 13:46 (il y a 1984 jours) @ annie

oui, c'est ce que je me suis dit aussitôt en lisant le texte, et dès le début. Mais plus on avance, plus cette accumulation atemporelle de fleurs, ce jardin naïf et soigneux, vieillot fait naître l'image d'un livre illustré, dans lequel ne manquent même pas les créatures fantastiques, cette maison d'allure bienveillante, comme un conte de fée.
Et on plonge ainsi, et plus encore avec l'apparition obsédante du pipi, dans le ressenti de l'enfance, avec cette maison dont on (dont l'enfant) ne sait pas grand-chose, sinon qu'elle irradie une présence secrète, et qu'il est question de réparer, ranger, quelque chose qui a été abîmé, cassé.
L'intuition enfantine parle, dans ce qu'il dit de sa mère, et dans l'évocation du rideau mouvant, de la douceur inhabituelle de la voix paternelle.
C'est souvent cela être enfant : ne rien savoir, être conduit, pressentir.

Dimanche au jardinet des roses

par Soledad, jeudi 20 juin 2019, 04:47 (il y a 1983 jours) @ Périscope

Cette éclosion de fleurs de saisons différentes ne me choque pas. Je l'ai plus lu comme une série de clichés pris à différents moments au cours de plusieurs années, que l'on aurait coupés et montés pour les repasser en continu. Un lieu intemporel donc, où vient s'ancrer un souvenir très précis. Dans cette maison qui semble habitée par l'âme d'un enfant (on aurait dû prévoir un petit air d'autrefois qui rassure les enfants) mais sans nulle présence physique, l'enfant va être témoin de phénomènes étranges, métaphysiques: la nervosité soudaine de la mère, les rideaux qui bougent sans raison, la féminisation d'un père qui parle avec une voix plus douce (jamais entendue auparavant)et qui fait preuve d'une douceur inhabituelle. Tout cela contribue à donner à ce lieu, qui visiblement altère de façon distincte et incontrôlée les comportements de chacun, une dimension onirique (qui m'a rappelé celles de certains films de Luis Buñuel), introduite, dès le début, par ce jardin extraordinaire hors temps.
J'ai bien aimé l'univers de ce texte, cette parenthèse temporelle qui laisse une porte ouverte au fantastique.

Dimanche au jardinet des roses

par Périscope @, vendredi 21 juin 2019, 08:55 (il y a 1982 jours) @ Soledad

merci, j'apprécie l'acuité de vos commentaires
qui balisent le chemin où je voulais aller sans le savoir