Je hais les indifférents, par Antonio Gramsci.

par au phil de la vie, mardi 10 septembre 2019, 18:39 (il y a 1901 jours)

Je hais les indifférents. Je crois comme Friedrich Hebbel que « vivre signifie être partisans ». Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents.

L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque.

L’indifférence œuvre puissamment dans l’histoire. Elle œuvre passivement, mais elle œuvre. Elle est la fatalité; elle est ce sur quoi on ne peut pas compter; elle est ce qui bouleverse les programmes, ce qui renverse les plans les mieux établis; elle est la matière brute, rebelle à l’intelligence qu’elle étouffe. Ce qui se produit, le mal qui s’abat sur tous, le possible bien qu’un acte héroïque (de valeur universelle) peut faire naître, n’est pas tant dû à l’initiative de quelques uns qui œuvrent, qu’à l’indifférence, l’absentéisme de beaucoup. Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques uns veulent que cela se produise, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser. La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est pas autre chose justement que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qu’aucun contrôle ne surveille, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri débouchent sur quelque chose; mais la toile tissée dans l’ombre arrive à son accomplissement: et alors il semble que ce soit la fatalité qui emporte tous et tout sur son passage, il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent. Et ce dernier se met en colère, il voudrait se soustraire aux conséquences, il voudrait qu’il apparaisse clairement qu’il n’a pas voulu lui, qu’il n’est pas responsable. Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande: et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme, de ne pas avoir donné ses bras et son activité à ces groupes de citoyens qui, précisément pour éviter un tel mal, combattaient, et se proposaient de procurer un tel bien.

La plupart d’entre eux, au contraire, devant les faits accomplis, préfèrent parler d’idéaux qui s’effondrent, de programmes qui s’écroulent définitivement et autres plaisanteries du même genre. Ils recommencent ainsi à s’absenter de toute responsabilité. Non bien sûr qu’ils ne voient pas clairement les choses, et qu’ils ne soient pas quelquefois capables de présenter de très belles solutions aux problèmes les plus urgents, y compris ceux qui requièrent une vaste préparation et du temps. Mais pour être très belles, ces solutions demeurent tout aussi infécondes, et cette contribution à la vie collective n’est animée d’aucune lueur morale; il est le produit d’une curiosité intellectuelle, non d’un sens aigu d’une responsabilité historique qui veut l’activité de tous dans la vie, qui n’admet aucune forme d’agnosticisme et aucune forme d’indifférence.

Je hais les indifférents aussi parce que leurs pleurnicheries d’éternels innocents me fatiguent. Je demande à chacun d’eux de rendre compte de la façon dont il a rempli le devoir que la vie lui a donné et lui donne chaque jour, de ce qu’il a fait et spécialement de ce qu’il n’a pas fait. Et je sens que je peux être inexorable, que je n’ai pas à gaspiller ma pitié, que je n’ai pas à partager mes larmes. Je suis partisan, je vis, je sens dans les consciences viriles de mon bord battre déjà l’activité de la cité future que mon bord est en train de construire. Et en elle la chaîne sociale ne pèse pas sur quelques uns, en elle chaque chose qui se produit n’est pas due au hasard, à la fatalité, mais elle est l’œuvre intelligente des citoyens. Il n’y a en elle personne pour rester à la fenêtre à regarder alors que quelques uns se sacrifient, disparaissent dans le sacrifice; et celui qui reste à la fenêtre, à guetter, veut profiter du peu de bien que procure l’activité de peu de gens et passe sa déception en s’en prenant à celui qui s’est sacrifié, à celui qui a disparu parce qu’il n’a pas réussi ce qu’il s’était donné pour but.
Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui ne prend pas parti. Je hais les indifférents.

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par dh, mercredi 11 septembre 2019, 09:18 (il y a 1900 jours) @ au phil de la vie

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par au phil de la vie, mercredi 11 septembre 2019, 12:24 (il y a 1900 jours) @ dh

Je comprends combien ça te dérange, mais faire appel à un texte de Cioran pour tenter un contrepoint de celui-ci de Gramsci est, comment dire poliment, déplacé.

On compare la façon dont ils incarné leur écrit ?

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par seyne, mercredi 11 septembre 2019, 12:39 (il y a 1900 jours) @ au phil de la vie

Je ne trouve pas ça déplacé. Puisqu’ici on s’intéresse aux textes, je trouve significative la fréquence et la place de ce « Je hais » dans un texte destiné à montrer combien on aime l’humanité et à désigner ceux qui ne l’aiment pas.

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par dh, mercredi 11 septembre 2019, 12:51 (il y a 1900 jours) @ seyne

merci claire.

je crois également que les 2 textes se répondent adéquatement.

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par au phil de la vie, mercredi 11 septembre 2019, 12:58 (il y a 1900 jours) @ seyne

Significative, de quoi ?

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par dh, mercredi 11 septembre 2019, 13:00 (il y a 1900 jours) @ au phil de la vie

voir ma réponse ci dessous.

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par au phil de la vie, mercredi 11 septembre 2019, 17:12 (il y a 1900 jours) @ dh

Je m'adressais à seyne.

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par dh, mercredi 11 septembre 2019, 12:56 (il y a 1900 jours) @ au phil de la vie

On compare la façon dont ils incarné leur écrit ? >>>>


là n'est pas du tout la question.

un type bien peut parfois écrire des conneries et vice versa.

et ne t'en déplaise, gramsci est aussi cité comme référence par des penseurs d’extrême droite.

(idem pour pasolini, debord, weil, orwell, chomski ...)


ET ENFIN

toute cette discussion est HS et j'en ai assez que tu utilises ce forum pour déverser ta propagande et gagner ta "bataille des idées" , comme disait gramsci.

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par au phil de la vie, mercredi 11 septembre 2019, 17:15 (il y a 1900 jours) @ dh

"là n'est pas du tout la question."

là est TOUTE la question, concernant ces deux textes et leurs auteurs respectifs.

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par François, jeudi 12 septembre 2019, 11:42 (il y a 1899 jours) @ au phil de la vie

Merci de ne pas tenter de faire de délivre un lieu de propagande. Propagande tiers-mondiste/remplaciste en l’occurrence. Cette idéologie détestable, cruelle et malsaine est déjà suffisamment déversée dans divers médias, du « service public » notamment.
On peut parler de politique de temps à autre... mais la propagande incessante, c’est gonflant. À bon entendeur.

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par au phil de la vie, jeudi 12 septembre 2019, 13:37 (il y a 1899 jours) @ François

A bon entendeur, toi-même,
remplaciste toi-même,
Idéologue toi, même.
Cruel, malsain, détestable, etc.

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par François, vendredi 13 septembre 2019, 14:52 (il y a 1898 jours) @ au phil de la vie

En français il existe une formule pour dire peu ou prou la même chose : « c’est çuy qui dit qui y est »
:-p

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par au phil de la vie, vendredi 13 septembre 2019, 16:00 (il y a 1898 jours) @ François

Ou encore, retour à l'envoyeur.

Tes obsessions, garde-les pour toi.

Où en est ton histoire d'amour ? On est censé avoir l'esprit ouvert à la suite.