À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par s[i]e[/i]nile ll @, dimanche 15 septembre 2019, 04:53 (il y a 1896 jours)

Du plus haut des cimes, je suis en bas. Au soir de ma défaite, j'incline la tête, de la brume gris bleue dans les yeux. J'ai beau me dire que je suis poussière et que je retournerai à la poussière, je bande à me sucer la bitte. Dans une position fœtale debout qui me tiraille entre la honte et l'envie de pleurer.
Si je lève la tête, je vois la première prise, le premier plateau, puis le deuxième. Au début c'est toujours plus facile, et toujours plus difficile de redescendre. Tu n'as pas pu ne pas voir que j'ai failli tomber. Tomber de pas très haut encore, de pas très difficile. Qu'en sera-t-il de la troisième prise, et des suivantes ? Avec un peu d'entraînement, non, ça le fera ? Pas qu'un peu mon vieux, et tu n'as pas fini de trimer. Je suis au seuil de mon impossibilité. Qui me tirera de cet écart, de cette affaire on ne peut plus délicate d'aller vers toujours plus de toi, de force et d'air pur, l'air que personne n'aura respiré encore ? Parce qu'il s'agit bien de cela, tu en as connu des alpinistes, et des forcenés, et des talentueux, et des plus téméraires les uns que les autres. Alors moi, moi qui attends en bas et qui n'ose lever la tête vers la première prise, du moins j'attends de sentir le bloc de pierre et de glace sous la brume gris bleue, sous cet épais nuage qui voile la hauteur incomparable du haut des cimes. Du haut de la coupe incomparable qui me sépare de toi. J'aurais aimé la prendre à la volée et partir comme un voleur, mais je n'aurais cependant aucun mérite, sauf peut-être celui de te la rendre. Et au revoir alors les espoirs de respirer l'air le plus pur, de celui qui vous fait oublier jusqu'au plus petit emmerdement, jusqu'au plus petit des désagréments, qui n'a que la joie pour compagne et la permission fatale de Dieu, qui s'appelle bonheur enfin.
Cervin, Mont-Blanc ou Everest, je ne vous ai pas connus. Je n'ai connu que de petites collines, la colline de l'espoir, la colline du brave ou encore la colline des désespérés. Je n'en suis encore maintenant qu'à un col. Et un col propose toujours deux directions. Et de ces deux directions il en est toujours une de plus difficile. Et je ne peux rebrousser chemin maintenant que tout se dérobe par le bas, maintenant que la Terre ne veut plus que je redescende. Et puis j'ai déjà fait le cauchemar.
Au seuil de mon impossibilité, si je tombe maintenant, j'aurai encore toute la vie devant moi pour me rétablir des blessures de l'ambition du haut des cimes, alors que je suis en bas.

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par Soledad, dimanche 15 septembre 2019, 05:18 (il y a 1896 jours) @ s[i]e[/i]nile ll

Il me semble qu'il y a deux façons d'être un "rien". Celle de perdre sa vie à essayer d'être ce que l'on s'imagine que d'autres sont ou celle d'être comme on est sans attente particulière, ni désir extravagant. Être, conscient de ce qui nous appartient et de ce qui est de l'ordre de l'inculqué... Être, tout simplement.
Merci pour ce bouquet de sensations en musique...

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par s[i]e[/i]nile ll @, dimanche 15 septembre 2019, 05:42 (il y a 1896 jours) @ Soledad

Merci pour ton retour.
Tu sais, je crois comme toi que rien ne nous appartient, et que croire le contraire, c'est se faire des illusions, et consiste en une hérésie -qui ne regarde néanmoins que moi, bien qu'il m'arrive heureusement souvent de me faire des illusions, plus ou moins heureusement d'ailleurs.
Bien à toi

Premiers pas

par au phil de la vie, dimanche 15 septembre 2019, 15:54 (il y a 1896 jours) @ s[i]e[/i]nile ll

C'est un bon début !

C'est comme quand on apprend à marcher, c'est l'aventure.
Qu'importe l'ambition, le tout est d'essayer, d'apprendre de ses défaites, de tenter d'avancer, de ne pas se résigner, de ne pas capituler.

"Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends." Nelson Mandela

"Le vertige et les pieds gelés, les risques, ça a certainement été créé pour vous donner du goût à la vie. C’est seulement lorsqu’on est mutilé ou appauvri qu’on se rend compte de la valeur de l’existence" Extrait de Premier de cordée Roger Frison-Roche

Premiers pas

par s[i]e[/i]nile ll @, lundi 16 septembre 2019, 11:40 (il y a 1895 jours) @ au phil de la vie

Merci pour ton retour.
L'alpinisme n'est pas ma tasse de thé en vérité. Je préfère souvent les fonds de vallée ou le bord de mer. Par contre, remonter un torrent abrupt et enchevêtré de branches et de ronces avec une canne à pêche pour y déloger des truites fario ne me fait pas peur.
Comprend qui peut...

Premiers pas

par au phil de la vie, lundi 16 septembre 2019, 12:05 (il y a 1895 jours) @ s[i]e[/i]nile ll

Bien sûr que je comprends, vallée et bord de mer c'est mon pays la Bretagne.



Et rien ne vaut une bonne pêche à la truite. Qui plus est en remontant un torrent abrupt enchevêtré de branches et de ronces. Richard Brautigan ajoute même : en Amérique.

Premiers pas

par s[i]e[/i]nile ll @, lundi 16 septembre 2019, 12:23 (il y a 1895 jours) @ au phil de la vie

J'y vais demain ! J'y passe dix jours.

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par seyne, lundi 16 septembre 2019, 10:49 (il y a 1895 jours) @ s[i]e[/i]nile ll

la vie n'est pas verticale, elle est variable, fluctuante, comme tu marches et tu dors.
tendre tout son désir vers le haut donne des raideurs ;)

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par s[i]e[/i]nile ll @, lundi 16 septembre 2019, 11:34 (il y a 1895 jours) @ seyne

Peut-être, sûrement oui. Mais voir ici néanmoins une intention, une aspiration, un enthousiasme. La réalité est d'une autre nature, je te le concède, avec son lot de nuances, d'horizontalité et d'obliques en effet.
Merci pour ton retour.

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par seyne, lundi 16 septembre 2019, 11:44 (il y a 1895 jours) @ s[i]e[/i]nile ll

ce que je voulais dire : tu parles de Dieu. S'Il existe, Il aime la vie toute entière, dans toutes ses variations et ses lieux...pas seulement le pur sommet de l'Everest (où il n'y en a pas beaucoup, d'ailleurs, la pureté et la vie ne faisant pas forcément bon ménage).

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par s[i]e[/i]nile ll @, lundi 16 septembre 2019, 11:54 (il y a 1895 jours) @ seyne

À propos de Dieu, je n'ai pas parlé d'amour, les églises rabâchent l'amour inconditionnel de Dieu pour les hommes. Non, j'ai parlé de permission. Je crois fermement que Dieu permet, ou ne permet pas. C'est quelque chose de personnel cependant, je comprends très bien que ça ne puisse pas toucher tout le monde. Mais il y a un rapport à la culpabilité dans la relation amoureuse que je tente d'exorciser par ce texte très vertical de rien.

À gauche le soleil dans les yeux, l'œil dans les cieux

par seyne, lundi 16 septembre 2019, 12:24 (il y a 1895 jours) @ s[i]e[/i]nile ll

ah...permet ou ne permet pas.
cette discussion est intéressante, mais je ne saurai pas la mener très loin, parce que je ne crois pas en Dieu, en tout cas pas en un Dieu-personne. Mais je respecte tout à fait cette croyance.
(moins ce que certains y mettent de leurs propres miasmes)