La maison de l’artiste

par soledad, mardi 24 septembre 2019, 08:09 (il y a 1887 jours)

Deux lourds battants métalliques protégeaient des assauts d’un hiver, paresseux et indécis, un pèlerin immobile de plus de deux mètres, un violoniste assis sur la note d'un banc public et une femme à l'intemporelle jeunesse au pied d’une fontaine.
Un assemblage de cubes « terre de Sienne » agençait volumes et terrasses.
Avec ses baies aux vitres fumées, la bâtisse ressemblait davantage à une galerie d’art qu’à une maison d’habitation. Un grand cendrier en forme de tout, gardait l’entrée de l’atelier qui donnait sur une courette où l’instant d’un chat, camouflé entre des bambous, s’apprêtait à sauter sur une proie invisible qu’il guettait depuis son éternité en laiton.
À l’étage, une chambre. Un salon, puis une cuisine, une autre chambre, une salle de bains, un autre salon, une autre cuisine, une autre salle de bains, des pièces inutiles, des pièces vides de sens, buttaient sur rien, rien qu’un réduit avec un balcon minuscule qui donnait sur la rue peu fréquentée.
Là, posé sur un bureau moderne, un ordinateur infatigable mémorisait des enregistrements en continu.
Après quelques marches, perdue dans la verticalité d’une mezzanine en expansion, l’immense chambre à coucher, seul lieu qui échappait à la surveillance perpétuelle des caméras camouflées dans chacune des pièces. Des films classiques, dans des langues inintelligibles, remplissaient les étagères d'un meuble noir en contre-plaqué qui faisait face à un grand lit monté sur son support en marbre.
Arène du créateur épuisé par la matière sauvage, il y disséquait, modelait, assouplissait chacune de ses conquêtes lorsqu'il ne bradait ses nuits à l’insomnie pour en extraire les buffets aériens aux parois papillons, les hommes oiseaux, les poissons andromorphes, les Minotaures chargeant sur leurs épaules des chevaux à l’agonie, qui encombraient ses pensées.
La solitude avait fini par imprégner les draps en coton vulgaire et rêche, des draps qui n’admettaient pas l’amour d’un lendemain, des draps haletants, pressés d’en finir avec un besoin physique dans un râle de soulagement.
Les doigts décelèrent un tiroir dissimulé dans la pierre froide et lisse. Une main hésitante se glissa en dessous du lit, déclencha un mécanisme et le tiroir s'ouvrit. Il n’y avait rien d’autre qu’un révolver. Un révolver. Pas un de ces révolvers de grenaille destiné à impressionner d’éventuels intrus, non. Un vrai révolver qui sentait la peur et la menace. Un révolver avec de vraies balles…chargé pour tuer.

La maison de l’artiste

par sobac @, mardi 24 septembre 2019, 10:30 (il y a 1887 jours) @ soledad

une maison avec les peurs et les aspirations de l'artiste

La maison de l’artiste

par s[i]e[/i]nile il @, mercredi 25 septembre 2019, 18:42 (il y a 1886 jours) @ soledad

Flippant de s’identifier... mais magistral.

La maison de l’artiste

par Annie, lundi 30 septembre 2019, 09:44 (il y a 1881 jours) @ soledad

très troublant, et follement attirant
j'envie la capacité de décrire, et d'abord d'inventer, de si étrange manière

la fin du fin de la création serait : donner la mort ?

La maison de l’artiste

par Soledad, lundi 30 septembre 2019, 17:38 (il y a 1881 jours) @ Annie

C'est gentil Annie... Ou, si la mort n'était que le début de la création ?
Ce lieu ou plutôt ma façon de le percevoir existe vraiment...

La maison de l’artiste

par seyne, mardi 01 octobre 2019, 10:39 (il y a 1880 jours) @ soledad

Quand un texte aussi simple et bref en dit autant qu’un roman entier...c’est du grand art.
On voit tout, surtout on voit l’homme - bien qu’absent - peut-être son absence à lui-même, son désert.

La maison de l’artiste

par Soledad, mardi 01 octobre 2019, 15:45 (il y a 1880 jours) @ seyne

Merci Seyne, mais vraiment, je ne me reconnais pas dans ces éloges. C'est un écrit sincère mais au delà...je ne me rends pas bien compte. J'écris comme cela plait à l'instant. Un de mes derniers poèmes, pourtant synthèse de mes sentiments intimes, a reçu une volée de bois vert à tel point que je me suis excusé de l'avoir proposé.
Je l'ai repris, je l'ai relu et je ne voyais pas ce qui n'allait pas. Pour moi, tout y était. Il n'était pas partageable, tout simplement.

La maison de l’artiste

par seyne, mardi 01 octobre 2019, 16:26 (il y a 1880 jours) @ Soledad

Tu parles d’ « incarnation » j’imagine.
D’abord, je crois que tu peux trier les avis des différents participants, dont certains ont une fâcheuse tendance à sortir la Kalachnikov pour des raisons d’humeur du moment, assez loin du texte choisi pour cible ..j’y ai eu droit aussi, je n’y prête pas trop attention.

Ensuite le reproche très modéré que je lui ai fait tenait à un vocabulaire un peu trop classique pour mon goût, des expressions « déjà lues ».
Quand on écrit un poème la sincérité et l’émotion sont essentielles, mais personnellement j’aime que la forme apporte quelque chose d’inconnu, qui surprend le regard et donne à penser, à voir de façon nouvelle, régénérant ce qui est en général vieux comme le monde.

Ce texte-ci donne tout cela.

Mais tu as le droit de choisir d’écrire juste comme tu le sens, et dans l’honnêteté simple de ton ressenti.

La maison de l’artiste

par au phil de la vie, mardi 01 octobre 2019, 18:57 (il y a 1880 jours) @ seyne

" tu as le droit de choisir d’écrire juste comme tu le sens, et dans l’honnêteté simple de ton ressenti. "

Selon moi il s'agit d'un devoir.
Mais c'est ma voie, à chacun-e la sienne.

La maison de l’artiste

par Soledad, mercredi 02 octobre 2019, 02:22 (il y a 1879 jours) @ seyne

Je n'ai vu aucune critique troublante de ta part.
Merci pour ces remarques sur le fonctionnement des forums
Le forum, pour moi, est une façon d'avoir ces fameux retours comme tu dis. Après, je ne suis pas un habitué de ces lieux d'échange qui peuvent, d'après ce que j'en découvre, devenir aussi des lieux d'exhibition, de prises de pouvoir, de condescendance égocentrique, voire de défoulement.
Je n'y prête donc pas plus attention que ça, mais j'essaye de jouer le jeu et de m'interroger sur les raisons des possibles remarques constructives. Je reprends les textes et je réévalue. Si cela me convient toujours, je n'y touche pas, je considère qu'il n'est pas partageable dans cet espace et je passe à autre chose.
J'ai toujours en tête la remarque de Picasso alors qu'il exposait "les demoiselles d'Avignon" sur les quais de la Seine. Une bourgeoise se serait arrêtée et lui aurait dit : "comment peut-on peindre des horreurs pareilles". Ce à quoi l'artiste aurait répondu : Mais Madame, vous pouvez en penser ce que vous voulez, je ne l'ai pas peint pour vous...

La maison de l’artiste

par seyne, mardi 01 octobre 2019, 16:42 (il y a 1880 jours) @ Soledad

...après, ta réponse pose une question assez vertigineuse et pourtant essentielle : comment juger ses propres productions ? il n’y a pas de travail et de perfectionnement possible sans cela, et pourtant on sait bien qu’on voit flou et changeant. C’est à cela qu’un lieu comme delivre peut être utile, même si les avis sont toujours à relativiser et qu’on reste le capitaine du navire.

La maison de l’artiste

par au phil de la vie, mardi 01 octobre 2019, 18:54 (il y a 1880 jours) @ seyne

"on reste le capitaine du navire"

Et ô combien ! A vrai dire tout est là.
Sa vie, son navire, son écriture... En poésie, c'est 1. Personne ne viendra la porter pour soi. Heureusement !
Donc, à la limite, personne n'a rien à dire, et si ça se fait, c'est au gré de l'écrivant qui prend ce qui lui chante.

La maison de l’artiste

par au phil de la vie, mardi 01 octobre 2019, 19:11 (il y a 1880 jours) @ au phil de la vie

Le capitaine au cours de poésie doit accepter de se laisser mener par la mer en poésie, voire déborder, par l'océan en poésie, voire faire naufrage. Ce qui n'est souhaitable à personne. Sur n'importe quelle île. Pour un prolétaire - travailleur lambda, ayant nécessité de travailler - se plier, accepter, se réguler, etc - pour subsister, c'est mission quasi impossible. Sachant les données managériales, et sociétales... Des tentatives, échappées, récréations, sursauts, n'en demandez pas plus ! Ce serait illusoire et, quoi qu'il en soit, c'est déjà risqué. S'il y a au bout quelques bons poèmes, c'est déjà un exploit ! Félicitez et remerciez alors le poète, d'avoir eu le cran de tant tenir à contre courants. Et buvez ainsi chaque poème. Yeac'h mat, elot.

La maison de l’artiste

par au phil de la vie, mardi 01 octobre 2019, 19:02 (il y a 1880 jours) @ Soledad

Le problème de la synthèse, fut-elle sincère, est qu'elle coupe sans faire dans le détail. Or ce qui touche se niche bien souvent dans le détail, voire en ce qui échappe, à la chape de la synthèse.

La maison de l’artiste

par Soledad, mercredi 02 octobre 2019, 02:02 (il y a 1879 jours) @ au phil de la vie

Pour être plus clair, je vous propose ce poème de Neruda. Je l'aime bien car il est à mon sens la synthèse de l'amour et pourtant il en détache chaque écaille. C'était ça que je voulais dire quand je parlais de synthèse.

Je t'aime

"Je t'aime d'une manière inexplicable, de nature inavouable, de façon contradictoire.

Je t'aime avec mes états d’âmes qui sont nombreux et mes changements d'humeurs incessants, à cause de ce que tu sais déjà: Le temps, la vie, la mort ...

Je t'aime ...
Avec ce monde que je ne comprends pas ,
Avec ces gens qui ne saisissent rien,
Avec l'ambivalence de mon âme ,
Avec l'incohérence de mes actes ,
Avec la fatalité du destin ,
Avec la conspiration du désir ,
Avec l'ambiguïté des faits

Même quand je dis que je ne t’aime pas , Je t'aime ,
Même si je triche, je ne triche pas ,
Dans le fond, j'exécute un plan,
Pour mieux t'aimer

Je t'aime ...
Sans réfléchir, inconsciemment, irresponsablement, spontanément, involontairement, instinctivement, par impulsion, irrationnellement.

En effet, je n'ai pas d'arguments logiques,
même improvisés…pour expliquer cet amour que je ressens pour toi, qui a émergé mystérieusement de nulle part, qui n'a rien résolu par magie, et qui miraculeusement, peu à peu, avec peu et rien a amélioré le pire qui était en moi.

Je t'aime,
Je t'aime avec un corps qui ne pense pas,
avec un cœur qui ne raisonne pas,
avec une tête qui ne se coordonne pas.

Je t'aime
incompréhensiblement
Sans m'étonner du pourquoi Je t'aime,
Sans me soucier du pourquoi Je t'aime,
Sans me questionner sur le pourquoi je t'aime.

Je t'aime,
tout simplement parce que Je t'aime,
Même moi je ne sais pas pourquoi Je t'aime…!!!

Je t'aime"


Pablo Neruda

La maison de l’artiste

par sobac @, mercredi 02 octobre 2019, 10:02 (il y a 1879 jours) @ Soledad

Aimer s’arrime à l’exigence
Ne laissant point de place à la tiédeur
Qui n’aurait alors qu’une pale saveur
Comme l’ersatz, au gout édulcoré