Les hasards du passage
Les laitues sont sous la neige.
Dans les ornières gelées,
je tue des moineaux avec ma carabine.
J’écarte le rideau et je soupire.
Les feuilles mortes recouvrent la pelouse.
Cette année on dormira les fenêtres ouvertes,
jusqu’aux premiers brouillards de la Saint Hubert.
Après le film, je respire, je sors regarder les étoiles,
et je vais me coucher en repensant au film.
Le soleil trace un triangle isocèle
sur le mur de ma chambre à quinze heures huit.
Des coups soudains de vent font voler les chapeaux,
flotter les robes sur les parkings.
Déjà une feuille d’automne se coince
dans les essuie-glaces.
Un kayak écorche le grand miroir lisse
du fleuve à la dorure du crépuscule.
Un fil électrique clôture les champs
où ne broutent plus les vaches.
Et en pleine campagne,
un chauffard klaxonne
le cycliste qui roule dans le fossé.
En passant sous les feuillages des arbres,
les gouttes de pluie se transforment en perles.
Je disparais alors la nuit,
au fond du jardin,
pour mieux écouter pousser mes maïs.
Les ombres sur la route sont trompeuses,
elles font traverser des endroits de chimères.
Sur le sentier on ramasse un marron,
qu’on range dans la boîte à gants de la voiture.
Le matin on ouvre les volets,
rien ne c’est passé avant, ni dedans, ni dehors.
Simplement une odeur de crotte
de chien surnage au-dessus du macadam.
Je saute dans les flaques d’eau,
fier d’avoir trouvé des souliers étanches, à Kaboul.
Un baigneur a découvert deux migrants morts,
sur la plage au Touquet. Les mouettes tournaient dessus.
Une pluie glacée trempe les passants
qui trottinent vers des abris à Narbonne.
Trois silhouettes passent, avec leur parapluie.
Elles se reflètent dans le trottoir.
Dans la nuit,
le vent a dessiné un cœur,
sur l’herbe fraîche, avec des feuilles mortes.
Ma fenêtre s’ouvre.
Bourdonne la ville.
Tinte un clocher. Chante l'oiseau invisible.
« Surtout ne sortez pas ! » me hurle alors
la voix humaine et sage d’une grosse tempête.
Je préfère prendre des petits chemins de traverse,
creusés par l’habitude des promeneurs.
L’automne pourrit la tôle des belles voitures,
par la mort suintante des feuilles.
Mais une feuille morte
qui rentre chez vous,
devient propriété privée et jouissance.