Mauvais temps
Ce matin la pluie torrentielle fait courir les chiens effrayés dans les rues.
Elle tambourine musicalement les vitres des fenêtres,
qu’elle décore de fragiles perles transparentes.
Dans les caniveaux, les ruisseaux emportent les vieillards,
qui chantent allègrement des psaumes avant de mourir noyés.
Les feuilles tombent des arbres.
Les cantonniers municipaux observent le désastre qui s’abat sur la ville.
Dans leurs abris ils sirotent leur vin chaud en échangeant des plaisanteries.
L’un d’eux par exemple raconte l’histoire d’une vieille femme,
entraînée par les eaux du fleuve, elle hurlait en agitant les bras,
mais le cantonnier, accoudé à la rambarde du pont, la voyant disparaître,
se réjouissait du spectacle,
en pensant que la dame serait maintenant plus heureuse,
dans le nouveau monde où elle allait entrer.
Le vent dehors se mêle à la pluie.
Il crée des tourbillons de déluge magnifiques dans la noirceur du ciel.
Le vent tord les poteaux,
arrache les enseignes publicitaires,
fait voler à pleine vitesse les tôles d’acier qui décapitent tout sur leur passage.
Des têtes humaines voltigent, ensanglantées,
produisant de splendides chorégraphies aériennes, aux yeux exorbités,
atterrissant dans les squares de la ville.
Parfois c’est une toiture qui s’envole,
découvrant la tristesse hilare d’une famille blottie dans leur lit.
Des ambulances sillonnent la ville lentement.
Elles écrasent les passants imprudents.
Les gyrophares tournoient dans la tourmente,
comme des clins d’œil narquois lancés aux victimes.
Un prêtre dépoitraillé brandit un crucifix en dansant.
Des arbres déracinés sont couchés sur la chaussée ;
des enfants s’amusent à escalader les troncs,
alors qu’une tôle folle vient sectionner une jambe,
un bras, une tête de ces mioches un peu casse-cou.
Le maire de la ville, dans sa résidence, a verrouillé ses volets.
Il fête avec son équipe l’ouverture prochaine d’un casino.
Le Champagne coule à flots,
aussi abondement que le déluge inondant la ville.
Dans les caves les rats commencent à surgir.
Ils deviennent les nouveaux citoyens qui peuplent la cité.
Les rats enfin ont quartier libre,
et ils dévorent sans regret les morceaux de chair qui flottent à leur portée,
dans les artères de la ville.
Tout le monde s’accorde à penser que c’est une bienfaisante épuration.