l'amour

par loulou, vendredi 10 avril 2020, 01:45 (il y a 1688 jours)

c’est sans doute pour combler un manque affectif
à cause de la solitude due au confinement
mais j'ai l'impression d'être amoureux de beaucoup de choses en ce moment
ce mot est toujours dans ma bouche
genre je me disais que j'étais amoureux de ma chambre
de la vue par la fenêtre
de fumer
du soir qui sent bon
de la musique
etc.
des nouilles sautées cuisinées hier

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mais amoureux vraiment, pas comme une façon de parler
je regarde mon plafond avec beaucoup de sentimentalité

peut-être que d'avantage que la solitude, c'est à cause de l'habitude qu'on prend des choses. usuellement, les paysages à force de les voir m'écoeurent. mais je ne sais pas pourquoi, à présent, je les aime d'autant plus que je les regarde, comme on s'aime après tout soi-même à force de se voir dans les miroirs.


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par chez moi il y a une petite rue pavée piétonne avec des petites maisons colorées chacune à leur façon, et chacune leur façon d’y apposer la couleur, de proposer des combinaisons différentes à leurs murs et leurs volets, et des arbres, des plantes en pot, des plantes sans pot. quelle bonté ces choses ont d’être là, qui me changent de ma chambre, dont je suis amoureux pourtant, mais qui ne m'en veut pas, puisque j'y dors chaque soir.


chaque jour j’essaye d’apporter une petite variation à l’itinéraire possible parmi les quelques endroits intéressants de mon quartier. il y a le cimetière parisien de Bagneux, qui est très grand et très majestueux, à l’intérieur, mais l’accès en est interdit au public, bien qu’il reste fonctionnel en cas de nécessité.

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je vais souvent devant pour y fumer une cigarette au soleil, parce que le soleil y vient lorsqu’il est là, sur les bancs praticables, disposés autour d’un peu de terre plantée entre les briques, où poussent le gazon et quelques pissenlits, soit dont le vent disperse les pétales, soit solidement plantés sur leur corolle, jaune comme les racines du soleil qui descendent jusqu’à ma nuque, et qui griffent gentiment mes mains sèches d'être trop souvent lavées. il y a des cerisiers en fleurs qui ne donneront pas de fruits; et des abricotiers, je crois, qui ne donneront  pas d’abricots.

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je reste là, relativement longtemps, je fume en regardant  de temps en temps quelques voitures, jamais plus d’une ou deux à la fois, arriver devant les grilles du cimetière, et c’est toujours le même rituel: un bref coup de klaxon, les grilles qui s’ouvrent une demi minute plus tard, les voitures qui rentrent, les grilles qui se referment. ce sont probablement des gens qui vont enterrer, dans une solitude relative, leurs morts dûs au coronavirus: il n’y a pas de réunion de famille, seulement une ou deux personnes pour chaque dépouille, parfois une voiture pleine si leurs occupants sont confinés ensemble. ils entrent, ils ressortent à peine une demi heure plus tard, et il faut faire comme si c'était remplir le dû mémoriel, je suppose.

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je les regarde passer en fumant ma cigarette, content d’être sous le soleil, devant les fleurs des cerisiers qui ne donneront pas de cerises, des abricotiers qui ne donneront pas d'abricots, dont l'ombre s'étend, en fin de journée, jusqu'aux pompes funèbres sur le trottoir d'en face. le monde devant moi comme si c'était moi-même, comme si hésiter son regard était une façon de tendre les bras, les faisant apparaitre devant soi, mobiles, prêts à manipuler les choses; comme si voir ce n'était pas promener son regard sur un monde déjà là mais se promener à l'intérieur de ce qu'on sait, avec une pensée émue pour chaque objet familier comme un souvenir, chaque objet nouveau comme un souvenir oublié.

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et partout, quelle beauté

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