Les poètes

par loulou, mercredi 29 avril 2020, 13:58 (il y a 1668 jours)

Les poètes




J’ai toujours été attiré par l'idée de la diversité réciproque des langues latines. Connaitre l'une d'elles c’est un peu connaitre les autres : à ne pas les parler on y promène les yeux sans trop comprendre, puis soudain une réminiscence survient, de son propre lexique, grâce à ces airs de famille qu'on appelle l'étymologie. (Connaitre sans se souvenir d'avoir fait l’effort d’apprendre, c’est à dire reconnaitre, c'est, je trouve, une des sensations les plus satisfaisantes au monde). Aussi, j’aime regarder ces tables où les mots sont déclinés dans chacune des langues:

[image]

(c'est comme des rimes)

Mais je connais à peine l’espagnol (que j’ai appris au lycée comme beaucoup), je peux baragouiner trois mots d’italien, deux de roumain, deviner le catalan sans le parler, interpréter le provençal comme on fait des cartes du tarot, et le portugais, si je l’entends je n’y comprends rien, si je le lis j’essaye d’y trouver l’espagnol.

Je ne parle pas ces langues, mais j’aime, comme on dit facilement, leur musique, avec une naïveté peut-être de touriste: il m’arrive souvent de lire des poèmes dans l’une d’elles avant de me rapporter à leur traduction. Et j'aime aussi jouer à essayer de deviner ce dont il s'agit. Parce que ça vous amuserait peut-être de jouer aussi, je voudrais partager avec vous quelques poèmes d'auteurs de « langue latine » peut-être moins connus en France que d'autres.


1. Inna Moretti (Italie)

Notice bibliographique
Inna Moretti est une poétesse d’expression italienne née à Gênes en 1937. Ses textes mêlent une exploration spontanée, « intuitive », du sensible, à une « métaphysique » personnelle du corps, métonymiquement décomposé et récomposé dans le miroir des images où trouver temporairement à se loger. Fragmentaire, multiple, le corps y est à la fois objet du désir et objet où le désir s’achoppe, ne pouvant y trouver de siège pérenne. Poétesse de la multiplicité  et du mouvement, Inna Moretti s’éteint en 1996 des suites d’une indigestion de fraises.

Elle usa de sa langue natale comme d’un instrument dont les lignes mélodiques perpétuellement reprises éduquent progressivement l’oreille à un tempérament nouveau.


Il tuo corpo multiplo

Come mi piace
Fino alla fame
E scoprire nel suo ventre
appetito, di nuovo.

Come mi piace
Fino alla sete
E scoprire in gola
parole, ancora.

Lame nascenti
Raccolto nei campi
Lungo le innumerevoli passeggiate...
Adoro il tuo corpo che è nato e rinato
Alloro, gelsomino, lavanda, glicine,
Nei prati calpestati dalle ombre
Improvvisamente appare un sole lacerato
Sapore di fragola e il tuo corpo insieme
Che dormono sulla lingua e al palato.

1963, Genova, Liguria.


Traduction
Ton corps multiple

Comme j'aime
jusqu'à plus faim
et découvrir dans mon ventre
l'appétit, encore

Comme j'aime
jusqu'à plus soif
et découvrir dans ma gorge
des paroles, encore

Aubes naissantes
Ramassées dans les champs
Au fil de la promenade innombrable...
J'aime ton corps qui nait et renait
Glycines, jasmin, lavandes, lauriers,
Et dans les champs que l'ombre foulait
Soudain un soleil déchiré apparait
Saveur de la fraise et de ton corps ensemble
Qui dorment sur la langue et sur le palais

Il tuo corpo alla fragola

Il mio tenero amore, chiaro e dolce
il mio dolce, chiaro, tenero amore:

Adoro il tuo corpo di fragola
Scorrendo sui miei palmi
Come il sole a mezzogiorno
Rotolando sulla mia pancia
Come il respiro che perdiamo
Mi piace il tuo corpo limpido
Come i giardini della mia infanzia
Che nascondono nostalgia, tristezza
Nell'estate dei loro rami.

Tutte le fragole nel tuo corpo nascondi:
Il mio dolce, chiaro, tenero amore;
Tutto il tuo corpo in fragole,
Perché sapore di fragola assomiglia
Del tuo corpo al sapore.


1963, Treviso, Regione Veneto.


Traduction
Ton corps à la fraise

Mon amour tendre, et clair, et doux
Mon amour doux, et clair, et tendre :

J'aime ton corps à la fraise
qui coule sur mes paumes
comme le soleil à midi
qui roule sur mon ventre
comme le souffle qu'on perd
j'aime ton corps clair
comme les jardins de l’enfance
cachant la nostalgie, la tristesse
dans l'été de leurs branches

Tu caches les fraises dans ton corps
mon amour doux, et clair, et tendre
ton corps dans les fraises
puisqu'à la saveur de la fraise
la saveur de ton corps ressemble.



2. Marius Minau (Provence)

Notice bibliographique
Né au village du Beausset, en Provence (Var), où il demeurera la plus grande partie de sa vie, Marius Minau fut un fervent défenseur de la langue et de la culture provençale (prouvençau), ainsi que l’une des grandes figures de la deuxième génération du Félibrige dans la lignée de Frédéric Mistral. Mais Marius Minau fut loin de s’en tenir à l’iconographie traditionnelle héritée des chansons de gestes en langue d’oc; figure iconoclaste, pétrie de contradictions, il fut aussi un observateur passionné des avant-gardes de son temps. Il défendit ainsi un « surréalisme provençal », arguant qu’il voulait « rendre compte du mouvement spontané de l’esprit », où « les cigales chantent dans les poches des olives, et les silhouettes des montagnes sont tricotées par la sévérité du soleil ». Proche du parti communiste, il s’engagea dans la Résistance. Il mourut en 1943 sous les balles nazies.

Mira Souleou

Lou souleou mi fa canta
ana la capo dôu cèu.
Lou joun bouniero vasteta
espace len leis arcèu.

A nue sarrado e maufasenco
desclara soun pan d'un sòu.
Qu mies nous pou tout fai souleou
Tout fai souleou, e citalo.

Lou souleou mi fa canta
Pamens la nue o joun mira:
Lou lous pissa de degoulou
Mira, mira
Mira souleou

Lou Bausset en Prouvenço, 1931.


Traduction
Regarde le soleil
NB: malheureusement, ma traduction est parcellaire car il est difficile de trouver des ressources sur le provençal en ligne... Si jamais vous avez des suggestions pour l'améliorer, n'hésitez pas!

Le soleil me fait chanter
Jusqu'à la tête du ciel.
Le jour ... et vaste
Se promène dans ses arcades.

La nuit noire et mauvaise
n'échappera pas à ... (?)
Faute de mieux, tout est soleil
Tout est soleil, et ...

Le soleil me fait chanter
Qu'importe nuit ou jour, regarde:
La lumière tombée des précipices
Regarde, regarde
Regarde le soleil


3. Vladimir Laureanu (Roumanie)

Notice bibliographique
Né en 1900 à Bucharest (Roumanie), Vladimir Laureanu fut l'une des principales figures roumaines du mouvement Dada. Compagnon de route de Tristan Tzara, qu'il rencontra à Zurich à l'âge de 19 ans, il fonda et présida la Fédération internationale du Dadaïsme international (Federația Internațională a Dadaismului Internațional). Initialement peu intéressé par le surréalisme, en qui il voyait une compromission avec "l'ambition poétique" à laquelle pousse comme de lui-même le langage, il adopta progressivement une esthétique inspirée par ses lectures de Robert Desnos ou André Breton. Installé à Paris à partir de 1934, il travailla notamment avec ses compatriotes le réalisateur Isidore Isou et le sculpteur Constantin Brâncuși. Sa disparition, en 1960, affecta profondément Tristan Tzara.


LASERAREA ZILEI

Stradă îngustă
în formă de cuțit
în ezitare plantat
a umblătorului
krak
în inimă
krak
deschizând robinetele
pași
rezoluții
krak
el merge pe lauri, al său, împletit de mama lui
mai repede, mai repede
lasa-ti sufletul in plus in taxi
lasă-i starea de spirit să moară în mobilat
acasă
repede repede
toate stările de spirit negre vâscoase grețe interioare
repede
în pântece lumea crește
repede
krakkrakkkrakkrak
tchiktchitchikboooUUUm
este motorul cu aburi
care suge emanațiile stelare
pentru a alimenta obraznicia umană
CUM VĂ RUGĂM PĂRȚI
AFACERILE TĂI LA INTRARE

ființa goală nu mai are același farmec
chiar și sfârșește mirosind a rahat
iată un vânt care suflă doar în vise
îmbrăcarea zorilor într-o mică marșă
după insomnie plictisitoare și fără dramă
ziua vine și preia.

București, 1933.


Traduction
LACÈRE LE JOUR

rue étroite
en forme de couteau
plantée dans l’hésitation
du promeneur
crac
dans le coeur
crac
ouvrant les valves
des pas
des résolutions
crac
il marche, sur les lauriers, les siens, tressés par sa mère
plus vite, plus vite
laisse son supplément d'âme dans le taxi
laisse son humeur à l'emporte-pièce dans son meublé
chez lui
plus vite, plus vite
toutes les humeurs visqueuses noires bilieuses grisaille intérieure
vite
dans le ventre le monde grandit
vite
craccraccrac
tchiktchitchikboUUUUm
c'est la machine à vapeur
qui aspire les émanations stellaires
pour alimenter l’effronterie humaine
PRIÈRE CEPENDANT DE LAISSER
VOS AFFAIRES À L'ENTRÉE

l'Être vidÉ n'a plus le même charme
voilà un vent qui ne souffle que dans les rêves
habillant d'un petit marcel l'aube qui se lève
après l'insomnie ennuyeuse et sans drame
le jour vient et prend ma relève


4. Hector de Villa-Barrios (Argentine)

Notice bibliographique
Hector de Villa-Barrios (1941-2002) est de ceux qu'on qualifierait  facilement de "poète mineur" : oeuvre mince, peu connue et mentionnée de ses contemporains, peu investie par la postérité. Pourtant, certains des poèmes de cet argentin mélancolique, notaire de profession, recèlent des images d'une simplicité et d'une gravité qui retiennent, l'espace d'un instant, le souffle.


La noche

En la noche
Es de noche
En la noche
Es de noche
En la noche
¿Que hace la noche?
La noche pasa
Como lo hace el coche.

Cuerpo de quien no duerme
Cuerpo de quien no sueña
Que parece decir : "¡dime!"
A la espera que no espera.

Rosario,  Provincia de Santa Fe, 1997.


Traduction
La nuit

Dans la nuit
Il fait nuit
Dans la nuit
Il fait nuit
Dans la nuit
Que fait la nuit ?
La nuit passe
Comme fait une auto.

Corps de qui ne dort pas
Corps de qui ne rêve pas
Qui semble dire : "que veux-tu"
A l'attente qui n'attend pas

Les poètes

par dh, mercredi 29 avril 2020, 17:20 (il y a 1668 jours) @ loulou

jamais entendu parler de ces poètes.

comment les connais tu ?

Les poètes

par sobac @, mercredi 29 avril 2020, 17:26 (il y a 1668 jours) @ dh

super merci je vais y revenir

Les poètes

par loulou, jeudi 30 avril 2020, 16:00 (il y a 1667 jours) @ dh

C'est le fruit de plusieurs années de recherches, hasards, flâneries, discussions, etc! Je suppose qu'on ne se doute pas d'à quel point les poèmes écrits en langue étrangère et qui nous parviennent traduits dans notre langue maternelle ne constituent qu'une portion congrue de tout ce qu'il nous serait agréable de lire. Ceux qu'on qualifie de "poètes mineurs" parviennent rarement à notre connaissance avec les années, surtout s'ils sont d'une autre expression que la nôtre. Mais leurs poèmes recèlent souvent, au moins éparses, des joies qui valent la peine qu'on se donne à les dénicher.

Les poètes, suite

par loulou, jeudi 30 avril 2020, 15:47 (il y a 1667 jours) @ loulou

Les poéète.sse.s (suite)




5. Marina della Simone (Saint-Marin)

Notice biographique
Marina della Simone nait en 1902 dans le micro-état de Saint-Marin (Serenissima Repubblica di San Marino). Fille cadette d’une grande famille d’armateurs, elle s’engagea dans la marine marchande dès l’âge de 17 ans, malgré les réticences dues à son sexe, désireuse d’explorer le monde et d’échapper au carcan familial. Ses voyages l’on menée sur la Mer Jaune, la mer de Timor, ou encore le détroit de Malacca. Elle en laissa carnets de route, observations de naturaliste, recueils de poésie. Son premier opus, « Recettes de cuisine aux larmes de poètes pour temps de vache maigre », écrit en italien et en français, lui valut  l’estime de ses pairs  à défaut de la reconnaissance du public. Elle fut, avec Segalen et Cendrars, l’un.e des dernier.e.s grand.e.s poètes-explorat.eur.rice.s du 20ème siècle.

RICETTA CUCINA PER VIVERE IN TEMPO MAGRO

Sulla nave
punto di acqua minerale
ma il sale che si svuota
la lingua.

Meglio lasciarlo in tasca.

E legumi?
Di tutte le vitamine, rimane solo D
(e tutti i minerali, sale)
non sostituendo il resto dell'alfabeto.

Tuttavia - QUI SONO ALCUNI CONSIGLI
FACILITARE L'ESISTENZA
PER MANCANZA DI TEMPO:

Prendi un poeta
qualsiasi.
Prendi un poeta.
Parla del mare:
Dagli il vero mare
Invece di questo mare leggermente rugoso.
Parla della tempesta:
Dagli una tempesta autentica
Al posto di questa tempesta d'umore.
Parla del sole, dell'amore, della morte, dell'assoluto,
Dai tutto, ecc.

Cosa sta succedendo?
Qui sta piangendo
il nostro gentile poeta.

La sua anima non può sostenere
il peso di queste cose,
preferisce dirli
piuttosto che viverli
(Chi lo sa?)

Raccogliere le lacrime (mezzo litro).
Questa è bellissima acqua limpida
con cui coltivare i legumi.


*

Traduction
RECETTE DE CUISINE POUR SE SUSTENTER PAR TEMPS MAIGRE

Sur le navire
point d'eau minérale
mais le sel qui décharne
la langue.

Mieux vaut la laisser dans sa poche.

Et les légumineux?
De toutes les vitamines, ne reste que la D
(et de tous les minéraux, le sel)
ne remplaçant pas le reste de l'alphabet.

Cependant - VOICI QUELQUES TRUCS
POUR FACILITER L'EXISTENCE
PAR TEMPS DE DISETTE:

Prenez un poète
quelconque.
Prenez un poète.
Il parle de la mer:
donnez lui la vraie mer
à la place de cette mer peu froissée.
Il parle de l'orage:
donnez lui un authentique orage
à la place de cet orage d’humeurs.
Il parle du soleil, des amours, de la mort, de l'absolu,
donnez lui tout ça, etc.

Qu'arrive-t-il?
Voilà que pleure
notre aimable poète.

Son âme ne peut soutenir
le poids de ces choses,
il préfère les dire
plutôt que les vivre
(Qui sait?)

Recueillez les larmes (un demi-litre).
Voilà de la belle eau claire
avec laquelle cultiver des légumineux.


6. Maria-Anna-Isadora Gejano (Colombie)

Notice biographique
Née en 1974 à Medellin (Colombie), issue d’une famille mestiza (mi-européenne mi-amérindienne), Maria-Anna-Isadora Gejano commence à écrire subitement à l’âge de 24 ans, alors qu’elle était jusqu’ici pleinement absorbée par ses études d’architecture. Elle décide de les interrompre pour se consacrer exclusivement à la création littéraire. Elle produit, entre 1998 et 2004, plus de trente recueils de poésie salués par la critique. Décrète soudain qu’elle n’a plus rien à écrire. « Ces livres sont sortis de moi comme on doit expulser le sang qui vous brûle les veines. Je vis à présent dans la certitude de leur absence » (source: billet de blog : http://www.marieannaisadora.com/entradas/hastasiempre.html). Est actuellement architecte en Espagne, où elle conçoit des « casas para cosas » (maisons pour choses).

Sin Titulo

A veces me digo que tengo muchos sueños
Flores de carnaval y piezas de vino.
Hortensias de lavanda y brezo
Rosas y lirios se quedan despiertos toda la noche
Mantequilla y lirio de los valles, opio por supuesto
Sumisión o fragmentación,
Pensé que el cuchillo estaba roto.
Hay un descanso, está en la sartén, no me olvides, hace calor
Sal a las calles con la esperanza de encontrar algo
Estrés estival de alguien que puede decirte
Cómeme en las flores y cosas del hotel.
Miro los azulejos y las texturas, rojos y anchos.


*

Traduction
Sans Titre

Parfois je me dis que j'ai beaucoup de rêves
Fleurs de carnaval et morceaux de vin.
Hortensias lavande et bruyère
Les roses et les lys restent debout toute la nuit
Beurre et muguet, opium bien sûr
Soumission ou fragmentation,
Je pensais que le couteau était cassé.
Il y a une pause, c'est dans la casserole, ne m'oublie pas, il fait chaud
Descendez dans les rues en espérant en trouver
Le stress estival d'une personne qui peut vous dire
Mange-moi dans les fleurs et les choses de l'hôtel.
Je regarde les carreaux et les textures, rouges et larges.


7. Ramon Losseco (Espagne)

Notice biographique
Né en 1888 dans un village côtier de la province des Asturies (Espagne). Développe une poésie du fragment, de l’incomplétude, de la correspondance, dont les « palabras » éparses semblent pouvoir indéfiniment s’assembler pour donner à voir ce que le lecteur y cherche. Compagnon de plume occasionnel de Fernando Pessoa (qui en fit le modèle de l’un de ses hétéronymes). Disparait en 1935 comme un rêve au réveil.

Verdades terribles, tristeza impresionante pero alegrías interminables

Me gustaría dibujar la moraleja de la vida como el jugo de una naranja para beber un vaso grande y fresco, el del descanso entre dos actos.

... pero la fatiga que está al final de mis labios y que llenó mi cuerpo para darle otra función
quien se instaló en mi voz y tomó mi cara
y mis músculos, mi piel y mis ojos
vertiendo el cielo en mis ojos y haciendo que todo lo que siento sea íntimo
como si la tensión que me alivió me devolviera a ellos en una cama común
desaparecerá mañana
sin embargo ella nunca me hará tan cerca
incluso cuando estoy en el sueño más lejano
de tu pensamiento.


*

Traduction
Vérités terribles, tristesses époustouflantes, mais joies infinies

Je voudrais tirer la morale de la vie comme le jus d'une orange pour en boire un grand verre frais, celui du repos entre deux agirs.

... mais la fatigue qui est au bout de mes lèvres et qui a rempli mon corps pour lui donner une autre fonction
qui s'est installée dans ma voix et a pris mon visage
et mes muscles, et ma peau, et mes yeux
qui verse du ciel dans mon regard et fait de tout ce que je sens un intime
comme si la tension qui s'atténuait me ramenait à elles en un lit commun
disparaitra demain.
cependant qu'elle ne me rendra jamais aussi proche
même quand je suis dans le sommeil le plus éloigné
de ta pensée.


8. Jao-Natanel Bodem (Cap-Vert)

Notice biographique
Né en 1967 à Santa-Maria, Cabo Verde. Fondateur et (unique) membre de l’école de poésie objectiviste cap-verdienne. A l’âge de 25 ans, conçoit un tour du monde. En poète objectiviste, ne parle pas des paysages et meurs exotiques, mais beaucoup de la technologie aéronautique et des stratégies commerciales employées par les compagnies aériennes. Apprend tant l’aéronautique en autodidacte qu’il passe et obtient un brevet de pilote de ligne en 1997. Devient pilote de ligne pendant 5 ans, occupation qui alimente ses poèmes. Arrête l’aviation pour essayer 15 autres métiers, ce qui lui inspirera le recueil de poèmes « Les occupations », sorti en 2004. Se suicide, par ennui, en 2009. Une statue est érigée en son honneur à l’aéroport du Bourget.

diário de bordo 58

o nariz está muito alto
STALL STALL STALL
o alarme soa
abandono
Placa de 31 graus
Eu sigo o procedimento:
- picar o nariz
- aumentar o gás
Eu restauro o prato
o alarme dispara
o co-piloto está olhando para mim
ao meu lado neste Airbus A320
espiritualmente pesado com 180 almas
e materialmente 57 toneladas
Estou assistindo o copiloto
o co-piloto me observando
os olhos negros e redondos de angústia
lembre-me do oceano
quem não nos engoliu


*

Traduction
journal de bord 58

le nez est trop haut
STALL STALL STALL
l'alarme résonne
décrochage
assiette 31 degrés
je suis la procédure:
- piquer le nez
- augmenter les gazs
je rétablis l'assiette
l'alarme s'éteint
le copilote me regarde
à côté de moi dans cet Airbus A320
lourd spirituellement de 180 âmes
et matériellement de 57 tonnes
je regarde le copilote
le copilote me regarde
ses yeux noirs et ronds d'angoisse
me rappellent l'océan
qui ne nous a pas englouti


9. Valentina Rosalescu (Roumanie)

Notice biographique
Nait à Constanța (Roumanie) en 1944. Part à Paris en 1962 pour étudier l'Ethnologie et l'Histoire des Religions. Elève de Mircea Eliade, ce dernier la repère et l'introduit dans les cercles universitaires de l'EPHE et de la Sorbonne. Démarre une thèse sous la direction de Levi-Strauss en 1967. L'interrompt trois ans plus tard pour causes de divergences théoriques (elle reprocha à Levi-Strauss d'avoir une approche trop théorique). Part étudier les populations autochtones de Papouasie en 1972. Ecrit un livre remarqué sur leur rapport à la nature, qui parait en 1975. Disparait la même année en Amérique du Sud, sans laisser de traces. Ses proches retrouvent, dans son petit meublé parisien, plus de cent carnets d'observations, notes et poèmes. Ces derniers paraissent (présumés) posthumes en 1983.

11h31

Ce mai pot spune
Plantele sunt frumoase
Ficatul este delicat frunzele sale
Nu vă plac proiectele
Aloe rămâne un mister
Silentios si flasc, verde
Este mai puțin verde decât o frunză
decât cea a unui străin
În cameră, umiditatea plutește constant
Purtate de aceste bule umede care sunt
Eu, aloe, ficus și celălalt fără nume
Cine doarme și nu doarme pentru că nu poate
Nu pot juca
Nu mai mișcați sub piele
Soare fericit, orhidee fragilă
Ar trebui să ieșim din casă la un moment dat
Vezi ce nu sa schimbat, prieteni

lalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalala
este doar sărutări
merită soarele


*

Traduction
11h31
Que puis-je dire de plus
Les plantes sont belles
Le foie est délicat ses feuilles
Vous n'aimez pas les projets
L'aloe reste un mystère
Silencieux et flasque, vert
Elle est moins verte qu'une feuille
que celle d'un étranger
Dans la pièce, l'humidité flotte constamment
Porté par ces bulles humides qui sont
Moi, aloès, ficus et l'autre sans nom
Qui dort et ne dort pas parce qu'il ne peut pas
Je ne peux plus jouer
Arrêtez de bouger sous la peau
Nous devrions sortir de la maison à un moment donné
Voyez ce qui n'a pas changé, les amis

lalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalalala
c'est juste les bisous
qui méritent le soleil

Les poètes, fin

par loulou, jeudi 30 avril 2020, 16:11 (il y a 1667 jours) @ loulou

Les poètes (fin)



Longtemps mes grands-parents maternels vécurent à Marseille, à proximité de l'Italie, où ils se rendaient régulièrement. Ils en gardèrent l’habitude d'introduire parfois, impromptus, quelques mots d’italien dans la conversation, avec un accent français tout à fait caractéristique, mais un plaisir qui enfant m'impressionnait,  puisque l’accent français en italien c’est aussi exagérer l’idée qu’on se fait du plaisir à le parler. Aussi posséder l’italien me paraissait une aptitude très importante; et je résolus, plus grand, de l’apprendre, ce que je ne fis pas (pour l'instant).

Ce qui me plait le plus, dans l'italien, c'est sa multitude. Il y a des centaines de variations et dialectes, et parfois des langues vraiment distinctes, éloignée génétiquement de l'italien standard de plusieurs degrés de parenté.

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J'aimerais parler une langue à cent dialectes, pour goûter au tour de passe-passe de l'intercompréhension partielle et spontanée, comme à retrouver des souvenirs inconnus dans sa mémoire.


Mais voilà trois autres poétesses et poètes, qui concluent cet analecta.


10. Antonia de Moraes (Brésil)

Notice biographique
Antonia de Moraes est née à Rio de Janeiro en 1938. Issue de la grande bourgeoisie brésilienne, elle s'engagea à 20 ans dans le Partido Comunista Revolucionário Brasileiro (tendance trotskiste), dans un contexte de vives tensions familiales, dont le carcan est vécu comme une asphyxie. En 1964, elle s'exile à Lisbonne (Portugal) en réaction au coup d'état de la Junte militaire. Elle y a, depuis, une activité d'éditrice et enseigne occasionnellement la littérature brésilienne à l'Universidade de Lisboa.

Cancioneiro

Você pode quebrar o vento
___________________ contra de seus calcanhares as bochechas
Em seus cedros de plantas traseiras,
__________________________ marronniers,
_________________________________________ amendoeiras,
____________________________________________________ procure seu peito
De todas as comuns folhas
Para que se tornem carne suas roupas
______________________________ estrela seca
Para que o vento apresse
No piano de suas costelas

Você olha a noite como na varanda
_______________________________________ e pronto para derramar você nele
Há um cheiro de chuva
_________________________ asfixia
______________________________________ de grama
__________________________________________________ molhado
______ no céu
______________________ mantido em seus punhos

Senhores as estrelas, entre todos juntos

Eu não sei se devo falar sobre a alegria, sobre sua voz
Sua sombra é mais fria na minha garganta
Frutas carregadas como mistérios

Sua silhueta se destaca em todos os lugares, luz
O dia cai como cabelo em seus ombros
Olho meus olhos para todos
_______________________________para que volte a tudo florescer

*

Traduction
Cancioneiro

Tu peux briser le vent
___________________contre les joues de tes talons
Sur ton dos planter cèdres,
__________________________marronniers,
_________________________________________amandiers,
____________________________________________________fouiller ta poitrine
De toutes les feuilles ordinaires
Pour que leur linge devinsse chair
______________________________séché aux étoiles
Pour que s'y engouffre le vent
Sur le piano de tes côtes

Tu te penches sur la nuit comme à un balcon
_______________________________________et prête à t'y verser
Il y a une odeur de pluie
_________________________d'asphyxie
______________________________________de gazon
__________________________________________________mouillé
______sur le ciel
______________________gardé dans tes poings

Entrez tous ensemble, messieurs les astres

Je ne sais pas s'il faut s'entretenir de la joie, de ta voix
Ton ombre est plus fraîche dans ma gorge
Les fruits chargés comme des mystères

Ta silhouette se découpe un peu partout, légère
Le jour tombe comme des cheveux sur tes épaules
Je prête mes yeux à tous pour que tout refleurisse


11. Catalina Varios-Munos (Espagne)

Notice biographique
Née à Marbella (Andalousie) en 1951. Fait preuve d'une vive foi catholique. A 18 ans, hésite à rentrer dans les ordres. Choisit la littérature. Atteinte d'une crise mystique en 1976, qui conduit à un internement de plusieurs mois. S'exile pour la Bolivie en 1980. Sa trace est perdue depuis 1985.  

Tetas y paseriformes

Había llovido debajo
De los chorros de agua
Oro es menú cosechado
Tengo el mundo en mi muñeca
La cosecha sea la moneda
De este menú de elección

"Nadie", dice aftas
Había llovido oro como dinero
Cuando el tiempo en mi muñeca
Es el fruto de su revés

Sueña el mundo en movimiento
Con quien la iluminación se emparejará
¿Y quién llama a la ventana?
Oro a través de la persiana

Sables, sé mi cama!
Y será hermoso mañana.


*

Traduction
Mamelons et passereaux

Il avait plu sous les jets d'eaux
L'or se récolte menu
J'ai le monde à mon poignet
Moissons soyez la monnaie
De ce menu de choix

"Personne", dit le muguet
Il avait plu l'or comme la monnaie
Quand l'heure à mon poignet
Est fruit de son revers

Rêvez le monde en marche
Avec qui l'éveil fera la paire
Et qui cogne au carreau ?
L'or à travers le store

Sabres, soyez mon lit !
Et demain sera beau.


12. Jordi Pradeu (Catalogne)

Notice biographique
Jordi Pradeu est né à Barcelone en 1985. Il est un contributeur réguliers des revues littéraires catalanes L'instant et Ariel. Lors de la crise politique catalane de 2016-2017, il est un fervent défenseur de l'indépendance. Il exerce une activité de chroniqueur sportif (football) pour plusieurs journaux.

Sense títol XVII

Aquí hi ha tot el món empresarial, com el vi
Servit al meu got.
Aquí, allà, calma, immòbil tot l’univers
I les carreteres fins a la vista
Fites senzilles
En el camí vital.

Ens asseiem un moment.
Considereu les coses, ja que hi són.
Només cal deixar entrar el món
Com als seus pulmons, fumar
Cigarrets, besant-se els llavis
Amantes i amants,
Als seus dits, projectes
Tangibles del món real
I a la seva boca, els projectes
Imaginaris més reals
Per haver-los vist néixer.

La imaginació és una pintura de Boticcelli:
Naixement de Venus.
No sabem donar a llum als déus
Però assistim a aquest miracle banal
Per veure què no existia
L'alba al punt de matinada al matí,
I els ulls que tanquen
Conté totes les paletes,
I els ulls que s’obren
Conté totes les paletes,
Iles petxines de les cosmogonies.
Vaig al meu llit
Supervisar els assolells del mercat de puces,
Estic satisfet -

Tanco les persianes amb els ulls
I galàxies.


*

Traduction
Sans titre XVII

Voici tout l'univers débouché comme le vin
servi dans mon verre.
Voici, là, calme, immobile tout l'univers
et les routes à perte de vue d'étoiles
simples bornes kilométriques
dans la chemination vitale.

Asseyons nous un instant.
Considérons les choses, puisqu'elles sont là.
Il faut simplement laisser le monde entrer en soi
comme à ses poumons, la fumée
des cigarettes, à ses lèvres, les baisers
des amants et amantes,
à ses doigts, les projets
tangibles du monde réel
et à sa bouche, les projets
imaginaires mais
plus réels de les avoir vus naitre.

L’imagination est un tableau de Boticcelli:
Naissance de Vénus.
Nous ne savons pas enfanter les dieux
mais nous assistons à ce miracle banal
de voir ce qui n'existait pas
poindre sur la pointe des pieds au point du jour,
et les yeux qui se ferment
contiennent toutes les aubes,
et les yeux qui s'ouvrent
contiennent toutes les aubes,
et les coquillages des cosmogonies.
Je vais dans mon lit
suivi des soleils de marché aux puces.
je suis satisfait -

je ferme les stores des yeux
et des galaxies

Les poètes, fin

par dh, jeudi 30 avril 2020, 16:43 (il y a 1667 jours) @ loulou

très intéressant merci. je suis toujours friand de notices bio-bibliographiques de poètes. cela donne parfois des idées intéressantes.

Les poètes, fin

par loulou, jeudi 30 avril 2020, 18:13 (il y a 1667 jours) @ dh

de rien. si parmi ces poètes il y en a en particulier qui vous (les lecteurs) intéressent, je peux en communiquer d'autres oeuvres.

Les poètes, fin

par jack l'éventaire, samedi 09 mai 2020, 22:45 (il y a 1658 jours) @ loulou

excellent, ça mériterait d'être édité