Le sens des rêves

par ArthurRitrac, lundi 25 mai 2020, 19:52 (il y a 1642 jours)

Le sens des rêves


Je rêve de ma mère, je la rêve d'un rêve récurrent, rêve récurrent drôle de chose qu'un rêve récurrent, et d'abord titre impropre que rêve récurrent car d'un rêve récurrent à l'autre rêve récurrent rien de récurrent sinon, sans doute, récurrente la violence, la violence du rêve récurrent. le cadre, jamais récurrent: ce sont chalets non récurrents, bureaux de tabac non récurrents, wc de théâtre non récurrent – le dernier ressemblait à Châtelet – une fois c'était salle de classe bondée, labyrinthe métallique dans une tour à la marge d'une zone commerciale la nuit – rien ne s'y répète vraiment dans les rêves récurrents. les êtres qui nous entourent non plus: des ombres non récurrentes en lambeaux, lambeaux non récurrents qui nous servent le décor et le bruit parasite comme sur un plateau-télé itinérant. dans le rêve récurrent ma mère me couvre ou d'injures récurrentes ou de reproches récurrents ou de honte récurrente ou de boue récurrente ou d'humiliation récurrente ou de cris récurrents ou de coups récurrents, dans le rêve récurrent je couvre ma mère ou de coups ou de cris ou d'humiliations ou de boue ou de honte ou de reproches ou d'injures, tout ça récurremment mais jamais avec la même qualité d'injures, quantité de coups, relation entre deux injures et deux coups, jamais selon une même ordonnance de cris ou d'humiliations. même qu'on s'accable parfois au point que le rêve récurrent voit rouge, chante meurtre. dans le rêve récurrent notre violence, notre violence alternative, notre violence successive, notre violence simultanée, notre violence mutuelle, notre violence imprégnée de rage et d'amour, de rage et de remords, notre violence factuelle, mesurable, objective, dans le rêve récurrent notre violence n'est rien, ou si peu, mais dans le rêve récurrent, la violence est celle du remords et du regret, immenses, récurrents; de la déception mutuelle, immense, récurrente. dans le rêve récurrent, la violence récurrente est la violence portée contre cela qui n'existe ou ne peut récurremment exister qu'entre deux êtres qui, avant la naissance du second, ne furent qu'un ; dans le rêve récurrent, la violence récurrente est la violence, dégradée dans le temps, de la naissance au reste de la vie, la violence qui finit par emporter l'autre, avec soi, dans la nullité. alors c'est soudain: il faut se réveiller, se réveiller avec l'idée de vomir, l'idée de vomir sans le désir de vomir ; se réveiller avec dans ton ventre un peu de cette boule de rien récurrent, cette crise de larme ou ce dégoût dégradé par le joli soleil du matin et qui récurremment finit par finir, comme toute chose. alors on s'appelle ou on reçoit un appel d'1h où l'on s'ennuie à mourir "allo maman oh ça oui aïe c'est sûr bien entendu bisous".

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par ArthurRitrac, mardi 26 mai 2020, 10:47 (il y a 1641 jours) @ ArthurRitrac

Vous vous souvenez qu'enfant, dense était la vie que vous meniez en songe. Vos rêves – ceux dont vous sortiez assez troublés pour en garder aujourd'hui une trace – se passaient récuremment à la maison du 47bis, de jour ou de nuit, souvent d'ailleurs au premier étage, où se trouvait votre chambre. La situation initiale était souvent digne de votre quotidien. Vous étiez accroupis, jouant aux bonhommes (comme vous disiez alors) – petits dinosaures, superhéroïnes, catcheurs, créatures fantasques – bonshommes qu'il vaudrait mieux, pensez-vous aujourd'hui, appeler figurines.

Vous n'aimiez pas les figurines souples, ni celles qui poussaient le souci de vraisemblance à l'imitation (souvent frustre, nécessairement partiale) des articulations humaines (chevilles, genoux, coudes, poignets). Si vous préfériez les figurines rigides aux précédentes, c'était pour l'aisance avec laquelle vous pouviez les manipuler, en situation de lutte – situation dont vous inventiez les codes du genre. Comme dans les bandes-dessinées ou dans les dessins-animés, s'encombrer d'une fidélité à la réalité de l'affrontement, duel ou guerre, était superflu – seul suffisait le sens du choc, la résistance éprouvée, la vie raffermie dans sa valeur originaire – la douleur.

Dès lors, tenant vos personnages par la taille, vous les libériez momentanément de la pesanteur, les laissant se confronter à leur guise à toutes les altitudes où vous étiez capable de les mener : seule comptait, après tout, la loi de l'entrechoc, première loi intelligible dont vous aviez eu l'intuition, ce qui ne vous empêchait pas de formuler de vive voix (sous forme de cris de gorge) leurs impressions sincères – le plus souvent au moyen d'onomatopées de douleur, de colère, parfois de victoire. Jouant avec fureur et abnégation comme s'il en allait de votre existence, vous vous effaciez et dissociez, vous réincarnant successivement – ou simultanément – en chacun, luttant pour l'un ou l'autre, pour l'un et l'autre, tantôt surplombant la bataille, omniscient et omnipotent (alors vous adoptiez un point de vue divin, du moins le point de vue de votre chambre – vous étiez l'Un, du moins faisiez-vous un avec l'étendue). Enfin, oubliant cette mascarade, vous vous plongiez, auprès de votre étagère, dans votre collection de pierres – méditant d'une vide rêverie, d'une rêverie minérale (alors vous n'étiez plus rien – ou tout comme – votre âme communiait avec une suite de qualités rocheuses et lumineuses) puis vous vous réveilliez (situation finale).

Ce scénario rêvé était la simulation à peu près parfaite des situations auxquelles vous vous adonniez avec allégresse en votre quotidien d'enfant. Vous rejouiez, en rêve, vos rêveries matérielles, vous ressouvenant d'une habitude profonde, acquise dans la solitude. Mais lorsque cette situation initiale changeait d'orientation, lorsque le rêve, en bon récit, engendrait un véritable événement, une puissante détonation affective, il arrivait que tout dégénérât, tournant à l'avalanche, et qu'alors l'espace de la chambre, structure close, cosmos autonome – bien que perméable à votre présence –, s'ouvrît jusqu'au vertige. La conscience rêvée s'élargissait confusément et le danger – jusqu'ici mimé, joué, feint à travers les bonhommes – l'empoisonnait au dernier degré : une ombre inquiétante passait par la fenêtre ; elle roulait sur la taule du toit adjacent, du jardin vers vous-mêmes, indéfinie, mais là vous observant. Votre porte en accordéon, menant au couloir, pouvait se mettre à trembler. Vous entendez votre mère, qui pourtant dort dans la pièce voisine – sa chambre – parler d'une voix qui n'est plus la sienne, au même moment, depuis son bureau au rez-de-chaussée : vous comprenez qu'elle est dédoublée, qu'elle vous veut le plus grand mal, que vous ayant donné la vie, son double vous l'ôtera, peut-être en vous éventrant). Les rideaux de la penderie, du couloir, gonflent et ondulent, s'animent, prennent forme féminine monstrueuse. Hercules votre labrador jaillit alors, sous forme cadavérique et vous, qui détalez pour fuir le danger, sentez les escaliers fondre sous vos pieds, puis disparaître en un instant, au moment où vous les foulez, vous laissant chuter à la verticale jusqu'à la cave lointaine : vous vous réveillez avant de vous écraser.  

De cette activité onirique, vous vint vite une rêverie plus inquiète encore, et tenace : étiez-vous bien réels ? De même que vous rêviez de votre mère ou de votre chien vous assassinant ; de même étiez-vous peut-être le rêve de votre mère, le rêve d'une ombre extérieure ou absolue. Dès lors que vous sautiez ce pas, longtemps préparé par l'exercice ludique de votre imagination figurineuse, votre existence n'était plus assurée de rien : vous pouviez vivre votre vie comme si celle-ci pût se réduire à l'imagination d'autrui ; votre volonté, votre pensée même, n'étant que la singerie d'une autre pensée en un autre lieu, un autre temps, un lieu et un temps au-delà de votre propre imaginaire, impénétrable. Ici votre expérience fut celle, radicale, de votre contingence ; ce dont vous portez encore, comme dans le vieux coffre à jouet au grenier, la trace.

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par seyne, vendredi 29 mai 2020, 10:00 (il y a 1638 jours) @ ArthurRitrac

Le texte est intéressant au niveau du "fond", mais je ne suis pas convaincue par le style : ni les temps des verbes qui lui donnent un ton pompeux et vieillot, ni le "vous" adressé au narrateur. La langue classique peut être tentante, mais son usage est complexe, on la maîtrise rarement, et surtout elle donne facilement à un texte une allure de pastiche comique qu'on ne cherchait pas forcément au départ.

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par seyne, vendredi 29 mai 2020, 20:09 (il y a 1638 jours) @ seyne

peut-être tu as cherché une distance avec une évocation trop personnelle, mais je trouve que ce que tu as choisi l’affaiblit.

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par artrictrac, lundi 01 juin 2020, 18:07 (il y a 1635 jours) @ seyne

coucou seyne
désolé pour la réponse tardive, n'étant plus vraiment repassé par ici je n'avais pas lu tes retours

pour l'anecdote de coulisses, ici j'ai remplacé systématiquement la 1ère pers du singulier par la 2e du pluriel pour essayer une adresse que, perso, je n'utilise jamais, et que je vois rarement employée dans ce cadre d'écriture là. donc un peu comme une contrainte d'énonciation. au fil de l'écriture le résultat m'a paru "assez" intéressant (intéressant au sens humoristique) dans la mesure où, mettant le récit personnel dans une distance bizarre, elle me donnait l'impression de m'écrire du point de vue d'un observateur extérieur, et de redéfinir la situation comme s'il s'agissait du recap outré, caricaturé, d'un psychanalyste qui, à partir de récits de rêves du patient, s'aventurerait à interpréter les arcanes (plus vraiment psychanalytiques) de sa personnalité. sauf qu'ici bien sûr le temps du discours extérieur rejoint clrmt celui de la meditation introspective. d'où la bizarrerie.

alors effectivement ce ton savant a quelque chose de gonflé, exagéré, légèrement ampoulé (comme le sont souvent les allocutions savantes, celles qu'on trouve notamment dans certaines revues de philosophie ou chez certains psychanalystes).

je suis un peu embêté que cet effet voulu ne soit pas perçu comme tel et que, d'un choix résolu, il soit vécu comme une maladresse.

peut-être aussi qu'il n'est plus l'heure à la caricature formelle ou que cet humour emphatique est mal venu.

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par seyne, mardi 02 juin 2020, 10:21 (il y a 1634 jours) @ artrictrac

oui, c'est ce que je te disais aussi : une tentative de mettre une distance avec un sujet trop personnel, trop brûlant. C'est tout un art de trouver comment mettre cette distance, et c'est souvent par le style qu'on y parvient. Mais là, il faut que tu cherches encore je crois.

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par Lustucru, lundi 01 juin 2020, 09:02 (il y a 1635 jours) @ ArthurRitrac

D’un ampoulé qui touche au comique...

Le sens des rêves I (le premier c'était le II)

par artrictrac, lundi 01 juin 2020, 18:19 (il y a 1635 jours) @ Lustucru

coucou Lustucru

je suppose que tu parles du texte usant du vouvoiement (le second posté) et non du premier. je suis content que tu en aies perçu le comique (discret, peut-être ambigu ou gratuit) lié à l'emphase, au côté professoral et extérieur du texte. (pour + de précisions, cf ma réponse à seyne)

merci d'être passé !

Le sens des rêves

par seyne, vendredi 29 mai 2020, 10:13 (il y a 1638 jours) @ ArthurRitrac

celui-ci est bien, mais quelle angoisse, on comprend mieux les combats de "bonshommes" du premier...ça fait penser à des combats de dé-collages :-)

Le sens des rêves

par artrictrac, lundi 01 juin 2020, 18:23 (il y a 1635 jours) @ seyne

je n'avais pas pensé à faire ce lien entre les deux textes, c'est intéressant !

merci seyne