Chouchou du dortoir
Chouchou du dortoir
Je l’ai sorti du dortoir.
C’est samedi. Le soleil a bu les flaques. Je l’ai choisi, lui. Il va m’ouvrir les portes. Et m’en inventé d’autres. Il a une chemise de couleur. Je ne l’aime pas mais une fois la chemise enlevée j’oublie la couleur. Je découvre sa face blanche où brille la lune. Il ne m’a pas fait signe dans le dortoir, il était à l’entrée, ostensible, dans son équilibre précaire. Je l’ai kidnappé et je suis sorti. J’ai enclenché mon quatre roues. La route avait mangé ses bords. Qu’importe. Je savais où je pointais ma quête. Faudra attendre le soir. Je dois boucher mes oreilles, cacher mes yeux, cadenasser mon cerveau. Je me jette un paquet de sable, plonge dans les grains, jaunes, blancs, rouges, quartz, micas. C’est quoi mon quartz ? C’est toi, c’est lui. J’ai décidé. L’important est de planter des clous décisifs, d’en faire son cirque. L’heure arrive. Je dresse un mur devant le réveil. Et j’ouvre le manteau vert. J’actionne mes ralentisseurs sinon c’est foutu. Faut pas rêver. Je m’attarde à la préface. Ce qu’il y a avant. C’est utile. Avant la face, la pleine face faite de mensonges et de vérités. Je préfère les marges. J’y laisse des traces de mouche à la mine de plomb mais que jamais l’avenir n’efface. Lentement je gratte ton organisation. J’ai ma chignole. J’ai une lime abrasive. J’ai une lunette mais pour ne rien grossir. Je t’entends. Tu fais du bruit de vagues sans vagues. Tu m’inondes de l’intérieur. Il faut choisir l’instant entre nous deux. Dès le passage des éboueurs le matin, je compte les heures. Il faut d’abord entasser et réaliser tous les emmerdements. Acheter, nettoyer, ranger, réparer, pardonner. Et ensuite je te mérite. Apparaît l’île au rivage couronné des détritus de ma journée finie. L’île dans sa lumière de chevet. De loin je la vois, et déjà commencent mes sauts de puce rêveurs. Tu as de la chance. Que je sois sur ta piste. Que je sois celui au sac vide. Que je sois muni d’une mâchoire qui te sollicite. Que je sois nu et que ma peau appelle ton vêtement. Que je sois la gueule au bord d’une oasis et que tu sois cette oasis. Qui es-tu ? Je ne veux pas me retrouver dans tes yeux. Nos prunelles sont noires mais ton iris diffère. Combien de temps je pourrais te chatouiller entre mes doigts ? Jusqu’à ce que tu parles. Des lambeaux de raison que je vais disséquer dans mon sommeil. J’ai la bêtise d’attendre un bus qui ne passera pas. Profites en, c’est ce qui justifie ton abri. Nous sommes une poignée à attendre pour rien. Tu dégages de l’odeur. Tu transpires de la pulpe. Tu vis. Tu frétilles entre mes bras parce qu’on m’a parlé de toi. Tu as de la réputation. Elle m’agace. Je ne suis que le public de ton aura. Je ne suis pas le découvreur de mes choix. Aaahhh ! Tout cela n’aura qu’un temps.
Pendant ce temps je t’approuve. Dans l’éclairage diurne tu poses. Je te regarde avec concupiscence.
Tes fringues pour plaire. Ton profil, ton volume. Tu t’accoudes sur un rebord de meuble. Tu es dans l’espoir qu’un passant t’emporte. Je me dis que te regarder et peut-être mieux que te connaître. Finalement tu es creux. Tu as besoin de notre convexité. Tu n’es que miroir. Mais déformant. Un musée Grévin portatif. J’évite le couloir vers la sortie. Je m’attarde dans le labyrinthe, j’y côtoie mes fantômes. Tout est personnage de cire fondant au soleil de ma curiosité. Au bout de ma déambulation mes doigts redeviennent aveugles. La lumière blanche explose à la fin. Celle de la rue, celle des maisons, celle des arbres, le clair-obscur des gens qui m’englobe.
Au début je t’ai sauvé du dortoir. Tu y retourneras dans le mien. Avec des voisins de chambre. Beaucoup sont passés par l’éveil que je leur ai donné. Tu me tends déjà tes petites mains pour que je t’oublie pas. Arrête bêcheur ! T’es comme les autres. Peut-être qu’un jour je reviendrai vers toi.
Pour un détail de toi qui se sera accroché en moi. Juste pour ça je soufflerai sur ta poussière, farfouillerai tes plis, chercherai la phrase que tu n’as pas finie de me susurrer.
Oh ta jalousie est stupide ! Tous les autres portent les mêmes parures que toi, mais leur désordre est différent. C’est toujours une histoire d’ordre qui nous chiffonne. Une question d’échelle et de hiérarchie. Parfois c’est la culotte qu’on met à la place du chapeau. Dans la tombe, on enterre encore des histoires, mais les intrigues ont la gentillesse de nous laisser dormir. Toi en somme, tu es celui qui nous tient distrait jusqu’à la mort. Si je quitte le monde ce matin, que deviendras-tu ? D’autres planteront leurs yeux dans ton anatomie. Et ton anatomie en produira d’autres, siamoises, jumelles, sérielles, répertoriées. Après la décomposition des corps, tu es la mémoire du vivant. Dans le désert, tu sera le dernier que le vent décoiffe.
Je l’ai sorti du dortoir.
C’est samedi. Le soleil a bu les flaques. Je l’ai choisi, lui. Il va m’ouvrir les portes. Et m’en inventé d’autres. Il a une chemise de couleur. Je ne l’aime pas mais une fois la chemise enlevée j’oublie la couleur. Je découvre sa face blanche où brille la lune. Il ne m’a pas fait signe dans le dortoir, il était à l’entrée, ostensible, dans son équilibre précaire. Je l’ai kidnappé et je suis sorti. J’ai enclenché mon quatre roues. La route avait mangé ses bords. Qu’importe. Je savais où je pointais ma quête. Faudra attendre le soir. Je dois boucher mes oreilles, cacher mes yeux, cadenasser mon cerveau. Je me jette un paquet de sable, plonge dans les grains, jaunes, blancs, rouges, quartz, micas. C’est quoi mon quartz ? C’est toi, c’est lui. J’ai décidé. L’important est de planter des clous décisifs, d’en faire son cirque. L’heure arrive. Je dresse un mur devant le réveil. Et j’ouvre le manteau vert. J’actionne mes ralentisseurs sinon c’est foutu. Faut pas rêver. Je m’attarde à la préface. Ce qu’il y a avant. C’est utile. Avant la face, la pleine face faite de mensonges et de vérités. Je préfère les marges. J’y laisse des traces de mouche à la mine de plomb mais que jamais l’avenir n’efface. Lentement je gratte ton organisation. J’ai ma chignole. J’ai une lime abrasive. J’ai une lunette mais pour ne rien grossir. Je t’entends. Tu fais du bruit de vagues sans vagues. Tu m’inondes de l’intérieur. Il faut choisir l’instant entre nous deux. Dès le passage des éboueurs le matin, je compte les heures. Il faut d’abord entasser et réaliser tous les emmerdements. Acheter, nettoyer, ranger, réparer, pardonner. Et ensuite je te mérite. Apparaît l’île au rivage couronné des détritus de ma journée finie. L’île dans sa lumière de chevet. De loin je la vois, et déjà commencent mes sauts de puce rêveurs. Tu as de la chance. Que je sois sur ta piste. Que je sois celui au sac vide. Que je sois muni d’une mâchoire qui te sollicite. Que je sois nu et que ma peau appelle ton vêtement. Que je sois la gueule au bord d’une oasis et que tu sois cette oasis. Qui es-tu ? Je ne veux pas me retrouver dans tes yeux. Nos prunelles sont noires mais ton iris diffère. Combien de temps je pourrais te chatouiller entre mes doigts ? Jusqu’à ce que tu parles. Des lambeaux de raison que je vais disséquer dans mon sommeil. J’ai la bêtise d’attendre un bus qui ne passera pas. Profites en, c’est ce qui justifie ton abri. Nous sommes une poignée à attendre pour rien. Tu dégages de l’odeur. Tu transpires de la pulpe. Tu vis. Tu frétilles entre mes bras parce qu’on m’a parlé de toi. Tu as de la réputation. Elle m’agace. Je ne suis que le public de ton aura. Je ne suis pas le découvreur de mes choix. Aaahhh ! Tout cela n’aura qu’un temps.
Pendant ce temps je t’approuve. Dans l’éclairage diurne tu poses. Je te regarde avec concupiscence.
Tes fringues pour plaire. Ton profil, ton volume. Tu t’accoudes sur un rebord de meuble. Tu es dans l’espoir qu’un passant t’emporte. Je me dis que te regarder et peut-être mieux que te connaître. Finalement tu es creux. Tu as besoin de notre convexité. Tu n’es que miroir. Mais déformant. Un musée Grévin portatif. J’évite le couloir vers la sortie. Je m’attarde dans le labyrinthe, j’y côtoie mes fantômes. Tout est personnage de cire fondant au soleil de ma curiosité. Au bout de ma déambulation mes doigts redeviennent aveugles. La lumière blanche explose à la fin. Celle de la rue, celle des maisons, celle des arbres, le clair-obscur des gens qui m’englobe.
Au début je t’ai sauvé du dortoir. Tu y retourneras dans le mien. Avec des voisins de chambre. Beaucoup sont passés par l’éveil que je leur ai donné. Tu me tends déjà tes petites mains pour que je t’oublie pas. Arrête bêcheur ! T’es comme les autres. Peut-être qu’un jour je reviendrai vers toi.
Pour un détail de toi qui se sera accroché en moi. Juste pour ça je soufflerai sur ta poussière, farfouillerai tes plis, chercherai la phrase que tu n’as pas finie de me susurrer.
Oh ta jalousie est stupide ! Tous les autres portent les mêmes parures que toi, mais leur désordre est différent. C’est toujours une histoire d’ordre qui nous chiffonne. Une question d’échelle et de hiérarchie. Parfois c’est la culotte qu’on met à la place du chapeau. Dans la tombe, on enterre encore des histoires, mais les intrigues ont la gentillesse de nous laisser dormir. Toi en somme, tu es celui qui nous tient distrait jusqu’à la mort. Si je quitte le monde ce matin, que deviendras-tu ? D’autres planteront leurs yeux dans ton anatomie. Et ton anatomie en produira d’autres, siamoises, jumelles, sérielles, répertoriées. Après la décomposition des corps, tu es la mémoire du vivant. Dans le désert, tu sera le dernier que le vent décoiffe.