Inconvénient et avantage de la nuit

par Périscope @, dimanche 05 juillet 2020, 10:32 (il y a 1601 jours)

Inconvénient et avantage de la nuit


Venant de la plaine, les contreforts de la chaîne montagneuse, il fonce via l’océan. Puis s’arrête.
Prend un chemin sur le bas côté de la route vicinale. Là un ruisseau, là un près où broutent des ânes. A travers les taillis il découvre les museaux. Puis il pisse. Dans son dos passent les camionnettes, les voitures sur la route qui surplombe. Elles voient sa silhouette en train de pisser. Les ânes le voient, lui aussi, de face en train de pisser. Le chemin continue entrant dans la forêt. De la forêt quelqu’un pourrait surgir et surprendre l’homme en train de. Le soleil décline, accroche ses médailles d’or aux arbres, enflamme la mèche des herbes. Le temps est compté. Boire une gorgée de thé encore tiède dans le thermos. Croquer une portion de biscuits. Vite. Il éteint la radio pour entendre mieux la campagne. Clapotis modeste du ruisseau. La rumination des ânes au bord des noisetiers. A l’autre bout du près il y a les bâtiments d’un garage. Des fenêtres. Celles d’un bureau où bosse une secrétaire établissant des factures. Est-elle trop loin pour comprendre qu’un homme pisse derrière la haie des noisetiers ? Le jet étincelle dans le rayon du soleil. Il faut repartir. Sur le chemin étroit entre talus et ruisseau effectuer un demi-tour. Aligner la voiture sur la route sinueuse vicinale. Déjà les automobilistes allument leurs phares. Lui il retarde. Il refuse le entre chien et loup. Les arbres deviennent des fourrés, des nuages d’ombre au ras de la route, au détour d’un virage, par delà les toitures comme des embarcadères pour la nuit. Les ouvriers quittent les chantiers. Les devantures des commerçants enluminent les rues. L’éclairage public comme on dit crée ses halos de blondeur. Lui chausse ses lunettes. Il se cramponne au volant. Il raidit son pied sur la pédale. Une colonne de pierre lui durcit l’échine. Les repères du monde ne sont plus que feux blafards et rougeoyant. Plus d’horizon, le lointain colle au pare-brise. C’est cette lumière blanche qui rend aveugle. Ils sont tous là sur le bitume, filant, grondant, et pourtant invisibles. Lui aussi il pique vers l’océan, louvoie entre camions et cylindrées plus puissantes que lui, dans sa Peugeot poussive. Plus rien à voir hormis l’acharnement à terminer son trajet. Oui, la mer c’est à l’ouest. Une fois arrivé, restera à couper le moteur, souffler et revivre, se dire cette fois je m’en suis sorti toujours indemne. Et alors il pourra quitter la Peugeot, n’importe où, dans un ressac naturel, et pisser librement, dans la nuit, car cette fois plus personne ne l’espionnera, et l’obscurité maintenant sera son alliée.

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