Rencontre sous le soleil ardent

par Périscope @, vendredi 07 août 2020, 09:27 (il y a 1568 jours)

Rencontre sous le soleil ardent


Le chat regarde l’araignée noire sur le bas du meuble blanc. Une araignée qui se déplace. Une araignée qui ne bouge plus. Une araignée qui se frotte les pattes, comme une ménagère se frotte les mains. Et le chat pelotonné, tourné dans la direction de l’araignée qu’il fixe intensément.
Puis l’araignée, elle se déplace soudain, de quelques millimètres. Le chat intensément. L’araignée se déplaçant. Oh le chat détourne la tête.
C’était à l’heure de midi, au pied du meuble, dans le soleil de midi.
Je suis le plus fort, je finirai bien par, je suis le plus fort, malin, compétant, j’ai du vécu.
L’araignée trottine vers le sol. Lui toujours regardant ailleurs. Sur le linoléum elle arrive. Le vaste linoléum recouvrant le sol de la cuisine. Il y a un mince espace entre le bas du meuble blanc et le linoléum. Un espace noir. Suffirait de s’y glisser pour être à l’abri. Mais l’araignée est trop grosse.
L’araignée est une tache noire trop grosse avec des pattes comme des bras. Le chat fixe l’araignée, sans broncher. Ça dure ce temps. Les protagonistes sont dans une immobilité parfaite.
Midi, le soleil se déplace imperceptiblement sur les carreaux de couleurs du linoléum. La poussière danse un peu dans un rai de lumière. Silence.
Puis c’est lui qui décoche le premier, un coup de patte fulgurant qui envoie valdinguer l’araignée sur quelques centimètres. L’expérience, le vécu, c’est ça le chat.
Mais elle n’est pas morte, à peine estourbie, qu’en sais-je ? L’agression a été terrible.
L’araignée au bord de l’espace vide est toujours là, elle ne peut pas s’engouffrer dans l’espace vide.
Alors quelque chose doit se passer. Il n’y a pas d’explication. L’araignée le chat l’araignée le chat.
Le chat qui ne cesse pas de fixer intensément sa proie. Quelque chose d’extraordinaire sur le linoléum à carreaux de couleurs qui recouvre le parterre de la cuisine où se retrouvent M. et Mme Smith pour manger au 37 de la rue Patton.
Les Smith n’ont pas vu le corps de l’araignée se rétracter. Lentement, si lentement qu’on ne verrait rien. S’aplatir la tache arachnéenne noire. Jusqu’où pourra-t-elle diminuer sa grosseur ? Le chat regarde l’étrange phénomène, ses oreilles sont droitement pointées, sa queue fouette le sol, agacée. C’est un moment hypnotique.
Et plus rien soudain. Sauf la ligne de l’espace vide sous le meuble. Plus rien. La ligne noire sous le meuble. Elle a absorbé l’araignée la ligne. Mangé.
Le chat ne bouge pas, il n’a jamais bougé. Il reste, il demeure. Il pense à une araignée qu’il aurait pu croquer. Il ne pense pas.
Entre le linoléum et le bas du meuble il y avait un mince espace noir, vide, pour s’y cacher et ne pas mourir, j’y suis allé, dit l’araignée.
Les ténèbres souveraines.
Le chat alors se relève et marche en un déhanchement chaloupé vers une destination inconnue.
Mme Smith aimerait probablement que M. Smith lui offre un cure de remise en forme aux îles Canaries.

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