tous les jours
voilà, tous les jours c'est pareil. dieu fouille parmi ses journaux intimes et en ouvre le dernier, à la page où il l'avait avant laissé, et continue sempiternellement d'écrire la petite histoire des choses. quel travail!pendant ce temps, alice vaque quelque part à ses occupations, une image ordonnée du monde devant elle : les affaires sur le bureau, dans la bibliothèque, le piano et ses partitions, la penderie et ses vêtements, des poèmes tapés à la machine à écrire punaisés sur les murs, toutes ces traces de son existence et de celles des gens qu’on a fait entrer dans son existence, toutes ces images parce qu’il en faut, qui peuplent les murs de la chambre comme les tanins le fond de la bouteille de vin, toutes ces images qui en font une chambre à soi, qui racontent subrepticement une histoire comme dans les églises les personnages peints sur les vitraux, somme de détails qui sera toujours infiniment moins grande que la totalité des parties.
alice vaque quelque part à ses occupations. elle dort puis voici le matin. le soleil se lève doucement sur alice, ayant enfilé ses chaussons, et secoue quelques rayons sur son visage, qui percent à travers les fenêtres presque trop grandes de cet appartement de la rue de m…, rayons dont certains ont traversé les verrières de la gare du nord toute proche, ces rayons qui entrent dans la conscience d’Alice les bras chargés des phéromones du jour. le soleil secoue ces rayons sur son visage, prudemment comme des épices lorsqu’on fait la cuisine; ils rebondissent sur ses joues, et glissent jusqu’à ses yeux comme à une source vive, qui en renouvelle les regards, tous les jours, le matin, avec la même régularité. tous les jours elle se lève et étire son dos souple, qui est fait pour bondir, muscles élastiques. elle se lève, je me lève, le soleil se lève, tous les jours, c’est comme de la musique.
tous les jours nous nous levons, et cela nous réunit.
maintenant que la journée est faite comme on fait son lit, il faut en faire quelque chose.
tous les jours les journées qui se succèdent apportent leur motif propre à une matière commune, ajout après ajout elles en changent l'interprétation, comme des trous sur du papier à musique. même s'il ne doit arriver que choses banales il suffit d'une ou deux notes pour déplacer le centre de gravité harmonique dans une autre gamme, en modifiant la coloration, renouvelant la perception dynamique des distances entre ces arpents arbitraires. est-ce qu'au bout d'un moment la vie fait qu'on demeure, malgré tout, tout à fait fixé? peut-on continuer encore longtemps à se fredonner dans plusieurs tonalités ? je vois cette sorte de monotonie mélodique, des thèmes, les mêmes, toujours repris, dans qui s'avance avec l'âge dans le monde avec une aisance croissante, avec une habitude de plus en plus sûre qui finit par ignorer le lexique négligé d'apprendre, puisqu'il a bien fallu choisir son travail, sa vie et ses habitudes. m'appartiendra-t-il encore longtemps, je n'ai pas loin de 30 ans, de participer à ce miracle polytonal ? c'est ce que désespérément je ne pourrai jamais savoir.
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loulou,
02/11/2020, 15:36
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c.,
05/11/2020, 16:23
- tous les jours - loulou, 09/11/2020, 16:57
- tous les jours - sobac, 06/11/2020, 13:20
- tous les jours -
c.,
05/11/2020, 16:23