lettre à pierre c.
vous savez pierre, jusqu'à environ 30 ans, j'étais un schopenhaurien convaincu. tout ce qui tournait autour de schopenhauer m'attirait et me fascinait.bien sûr, je lisait aussi nietzsche, mais je le considérais comme un second couteau, moins important que le maître.
le problème avec schopenhauer, je m'en suis rendu compte bien plus tard, c'est que sa philosophie est fondamentalement égocentrique et paranoïaque, presque solipsiste. dans cette façon de voir les choses, autrui ne peut être au mieux qu'un gène, dans la plupart des cas un ennemi.
chez schopenhauer, seuls les saints et les génies peuvent prétendre au salut, car ils transcendent le principe d'individuation. Or, comme la plupart des gens, je n'étais ni un saint ni un génie, et en fin de compte j'avais honte d'être un homme.
reste la solution du quiétisme, ne rien faire et attendre paisiblement la mort. évidemment, cette dernière option est plus aisée quand on est rentier comme S, ce qui n'est pas mon cas.
ce n'est pas nietzsche qui m'a guéri de schopenhauer, mais bien plus lévinas, avec totalité et infini, que je relis régulièrement et comprends de mieux en mieux, et qui m'a fait comprendre qu'on pouvait être un homme sans avoir honte, bien que n'étant ni saint ni génie. et qu'appartenir à une société n'était pas une aliénation incurable et horrible, mais pouvait aussi être un vecteur de libération. fin de ma misanthropie.
une autre clé de libération fut la découverte du pragmatisme, avec william james et richard rorty, qui m'ont permis de me débarrasser de nombres de vieilles lunes post-platoniciennes et de regagner la terre ferme, la terre des hommes et des femmes, alors que nietzsche ou l'étude du bouddhisme ne le l'avaient pas permis.
le taoïsme aussi , formidable leçon de liberté, avec les textes canoniques (lao-tseu , tchouang tseu , lie-tseu), fut un véritable soulagement et un remède hygiénique à plusieurs contradictions qui me paralysaient, notamment celle de la liberté et du libre arbitre ; de la réalité et du rêve...
la rencontre de ma muse marie anne, enfin, acheva de me convaincre de la valeur précieuse de l'existence humaine et de la nécessité de vivre non pas seulement par soi et pour soi, mais aussi par et pour autrui.
DH
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