Romances sans paroles, sans personnages, et sans sujet
1.Appartement où les plantes disputent la surface des meubles à des babioles ramenées avec goût de voyages quelconques. Là, chez soi, on retrouve l'immanence de sa photosynthèse propre, celle qui convertit le repos en nouveaux projets.
Quels projets? C’est la fin de l'été mais on n'est pas parti en vacances, ou à peine. Resté à Paris pour le travail, on a déambulé dans une ville allégée de ses habitants et de l'absence des touristes usuels, mais pourtant l'air est lourd. On aurait préféré mettre entre soi et ses obligations mille kilomètres de soleil justifiant la procrastination. Un CDD arrive à son terme. Une proposition de CDI dans l’entreprise qui employait en CDD a été refusée pour se consacrer à autre chose, même si cela reste indéfini. Qui s'en préoccupe? On plaisante de la sagacité à refuser un emploi stable, bien que psychologiquement fatigant, en plein coeur d'une crise économique. Mais qui s’en soucie ? L'avenir ne restera pas longtemps les mains libres. C'est la fin de l'été, on désire la nature que l’absence de vacances, depuis un an, nous a refusé. Il y a les bois de Boulogne ou de Vincennes où faire des promenades, ou des parcs. C'est cela la nature ici : quelques hectares de verdure attendant au bout de 40 minutes de métro. Que reste-t-il de la nature, et des promenades, une fois rentré chez soi, les volets fermés et les yeux clos? C’est la fin de l’été, on retrouve le chemin du travail qu'ailleurs on égare. C’est la fin de l’été. Heureusement ou malheureusement, qui peut le dire ? Ce qui s'égare retrouvera toujours une place.
2.
La lumière de septembre est nostalgique. Progressivement elle pâlit, mais dans ce mouvement qui la fait passer d'un solstice (l'été) à l'autre (l'hiver) elle se diffracte en de plus en plus de volumes rouges, orangés lorsque vient le crépuscule. Petite cérémonie de deuil chaque soir, bientôt la lumière mourra. Le fond de l'air se refroidit, la fraicheur est une veste légère que l'on passe à ses épaules, il faut donc les couvrir. Un rendez vous chez pole emploi est donné, plus précisément à l'APEC. Il s'agit de remplir des paperasseries pour finaliser une procédure d'inscription permettant d'obtenir une subvention de vivre afin de continuer à payer le loyer. Il faut montrer patte blanche. A la fin de l'entretien, le conseiller énonce, demi-souriant : "alors, vous activerez votre réseau". Manière de dire : vous n'avez qu'à attendre, vous verrez dans quelques mois. Le réseau sera activé, c'est à dire qu'on changera sa photo de profil linkedin pour l'affubler d'une bannière #opentowork. Les profils défilent sur la page, visages qui représentent chacun à leur manière une certaine idée de la compétence, tous estampillés d'un bannière verte #opentowork. Cela sonne mieux que #lookingforajob ou #ineedtopaymyrent. Pourtant, on n'est pas si mal loti. On a eu l'idée de se réorienter, au cours de ses études, vers un secteur "qui recrute". C'est à dire qu'on n'est pas dans le secteur, mais on peut essayer de s'incruster, comme à une soirée où on connait quelqu'un qui connait quelqu'un qui... Dans ce contexte de crise économique, on n'est pas si mal loti. On ne trouve pourtant pas de travail. En tout cas pour le moment : rien d'anormal, ça peut mettre 6 mois, 10 si il le faut. On découvre la vie sans ressources. On en avait déjà peu, là moins, cela développe une agilité de funambule. Il faut arrêter de fumer, ça devient trop cher, c'est toujours ça. Fumer pourtant occupe, on s'occupe comme on peut. Ballet connu : chercher des annonces, envoyer des CV. La lumière de septembre est clémente, on dirait qu'elle s'excuse de l'hiver à venir. Les bars sont toujours fermés, mais on n'a pas d'argent à y dépenser, c'est toujours ça. Les promenades ne sont pas onéreuses, la lumière le permet. Le fond de l'air n'est pas si froid, et Paris est parfois jolie dans la lumière, les toits ardoise des immeubles étalés dans le creux de sa main. Les étudiants reprennent le chemin des salles de classe ou des appels zoom. La lumière de septembre est clémente. Le fond de l'air est un peu froid, mais on ne le sait pas.
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