fin juin
La France a fait match nul contre le Portugal. La France était d'abord menée au score puis elle a égalisé. Je ne regardais pas le match, mais j'ai entendu, dans la rue, une clameur - j'ai compris que la France venait de marquer un but. Pour savoir ce qu'il se passe dans un match de foot, il suffit de tendre l'oreille ; la rue, c'est à dire la somme pondérée des bruits venant des maisons, des appartements, des bars - en fonction de leur distance - colporte les nouvelles, sans fard, sans nuances, sans hésitation. Elle les colporte lorsque se lève soudainement dans la rue un jour d'une grande clarté, une grande clarté brutale qui sort du fond du fond des gorges. Alors j'ai commencé à regarder sur mon ordinateur pour voir ce qui se passait. Un peu plus tard, la France a marqué un autre but (doublé de Benzema) et a mené au score. J'ai vu le but, et environ 30 secondes plus tard, la clameur a retenti dans la rue. Les télévisions ont probablement 30 secondes de décalage avec la retransmission sur le site internet du diffuseur. Pendant toute la suite du match, les bruits avoisinants rythmaient, connotaient, commentaient l'action avec un décalage de 30 secondes. J'avais mes fenêtres ouvertes parce que je fumais et qu'ensuite j'ai laissé aérer. Il ne faisait pas particulièrement chaud ; si nous étions à l'une de ces soirées semi-caniculaires comme il y a deux semaines passées, tout le monde aurait laissé les fenêtres ouvertes. La clameur aurait sans doute retentit plus fort, peut-être plus rapidement, avec moins de décalage, hâtée à mes tympans par les masses d'air chaud, comme portée par des sabots d'orage sur la convection atmosphérique. Le diapason d'une soirée chaude et lourde est le tonnerre. L'orage passe le fil des poils dans le chas de la peau. Nous sentons mieux notre peau, nous sentons aussi celle du ciel. La période de l'année autour du solstice est ma préférée. Nous sommes le 23 juin, déjà les jours raccourcissent. Mais ils dureront pour encore quelques semaines jusqu'aux alentours de 22 heures, c'est à dire pour quasiment l'éternité. Alors la nuit qui vient a une autre signification, une autre portée ; sur la portée des heures, elle ne vaut que brève ᴓ ᴓ ᴓ ᴓ respiration. Elle n'est pas un règne, mais une halte que l'on s'accorde. Une pause dans la phrase de la lumière. Pour moi, les journées longues de la fin juin - surtout lorsqu'elles sont très chaudes - ont quelque chose de surnaturel. Il est tard, mais le soleil, la chaleur sont toujours là. Je ressens une sorte d'agitation, de confusion végétative, animale. J'ai l'impression qu'il faut faire quelque chose, aller dans les rues, dans les maisons, dans les bars, faire instamment quelque chose de soi-même. Ca me fait penser à cet album de Tintin où un météorite géant s'apprête à s'écraser sur la terre et chauffe et rougeoie l'air nocturne et fait fondre l'asphalte.
Ces soirées très chaudes sont idéales pour faire l'amour.
Ces soirées très chaudes sont idéales pour faire l'amour.