Un ordre nécessaire (revu et corrigé)
Il faut y aller. On le demande. Quelle voix ? Et puis dans l’écho d’une église, la transformation dit : Il faut que tu y ailles. Je me retourne mais le soleil caché a dérobé mon ombre. Je parle plus fort et des murs sort encore plus fort ma voix méconnaissable. Il faut. Un ordre supérieur qui déjà s’écrit dès le premier jour où un ventre me cracha sur des langes que très vite je rends urineuses opacifiées par trop de questions que l’impatience des réponses m’empêche de comprendre. Il faut, un atome de phrase que pépé, mémé, et mère ont généré dans leur centrifugeuse vivante. Le soleil revenant étale ma silhouette. Là sur le gravier, ou sur les gravats d’une maison déjà tombée avant d’être construite. Là sur la surface blême d’un étang que mon rêve prend pour un miroir. Là, et rien d’autre pour m’enfuir, car ici est ma place. Et c’est là, ici, tout de suite qu’il faut y aller. Quitter ici pour ne plus être là. Allonger ses mains, tendre longuement sa langue pour saisir et parler des choses que l’illusion nous donne. Un beau matin, n’en pouvant plus, je me résous à y aller, enfilant un slip musclé, empoignant des chaussures de détermination, je pars. Le chemin, je le connais. Mille fois ressassé que ma veulerie recouvrait. Il conduit à la nécessité. Que de brume pourtant où émerge à peine un clocher de valeur. Dans les vergers scintillent des rainettes rieuses dont je dois comprendre le chant. Mes genoux s’enfoncent dans un plasma que j’avais oublié. Mes bras se réconcilient avec la courbe. Une brassée de paroles enfin se distingue, elles ont pour vase la bouche des morts. Et je ne parviens pas à sauver leur tige de ce bouquet décomposé. Lorsque je reviens, encore c’est sur le trottoir que je me confonds. Aux passants je hurle puisque le pire m’a été délivré là-bas. Figurez-vous. Mais non. Ce n’est que pur astigmatisme. Parvenu à l’endroit demandé, on me demande encore. J’avais noué ma pensée au plus joli tronc de mes ancêtres. Et bien encore, il fallu entendre un nouveau « il faut y aller ». Toujours y aller. Je tâte mes talons. Les passants dans la rue y vont. Je perçois un chemin dans leurs prunelles. Demandez-leur où ils vont. Leur brouhaha est unanime. Mais individuellement ils étouffent leur réponse dans des oreillers de plumes. Au sommet des montagnes un autre doigt vous dit de monter encore plus haut. Et si nous étions que la bête sauvage qui tombe dans le trou. Lorsque j’ouvre la porte de mon appartement, le grincement d’accueil maintenant n’est plus le même. La bière que je décapsule a un goût trop suave, la télévision que j’allume montre des images démodées, là-bas j’ai vu des images, là où elles se fabriquent, leur naissance, avant qu’elles deviennent une consolation. C’est alors que la perversité pointe son nez sans dire son nom. Par le dessous des portes, par l’embrasure des fenêtres, par le tube des cheminées, dans le dépliement des lettres, dans le frottis des chairs, par l’emballement des locomotives humaines, par la boucle silencieuse des choses qu’on oublie sur les guéridons, sans arrêt une odeur flotte et devient horizon. Il n’y plus de décor. Tout est destination et effluves. Tout est à la recherche d’une appellation. C’est le plus laid des concerts car les musiciens sont partis. Dans la ville longtemps j’ai marché. Cette phrase me sert de guide. Il y a des expressions comme ça qui restent. Elles ne vont pas ailleurs, elles. Elles s’impriment. Il n’y a plus de ville, mais le mot ouvre toutes les ruelles. Les passants sont assis sur des marches absentes, des rêves de marches. Quant aux chiens, qu’on dit errant, ils n’existent que dans les poèmes. Celui que j’ai rencontré a encore toute sa mémoire. Sa queue frétille de mille souvenirs. Elle répète « suis-moi, suis-moi ». Ce que je fais. Là, plus besoin de se prendre la tête. Les chiens ont plus de pattes que les hommes, donc supérieurs à nous. Ils arrivent plus vite, là où il faut aller. Mais par combien de ruelles, coursives, coupe-gorge, il faut passer. Je ne vois que débris. Ici, un estaminet, où le whisky coule encore dans les veines, là, une blanchisserie où la blanchisseuse lisait dans les lignes de la main abyssale des bandits, là, rien, un vide seulement, qu’on appellera une ouverture. Je supplie la queue du chien de s’arrêter. Ici, une voix encore me somme d’y aller. Vas-y, vas-y, elle ordonne. Le chien me précède. C’est toujours comme ça. On vous précède alors qu’on voudrait être le premier. Le passé, la connaissance, les a priori vous précèdent. Pourquoi se fatiguer puisque quelqu’un est déjà passé. J’ai beau courir, il est devant. J’aimerais m’asseoir sur quelque chose de neuf. Le chien renifle que ce qu’il connaît. Entre les ruines monte le soleil. Il paraît que sa lumière contient aussi sa nuit. Je vais aller voir. Plus aucune voix alors ne clame en moi. Je caresse le chien, de crainte de me séparer de sa chair tiède. Je vais aller voir, mais il faudra attendre la fin du jour. Ça c’est une autre paire de manches. J’enlève doucement mon slip musclé et mes chaussures déterminées. Faudra attendre, sans rien penser, même pas à l’idée de la nuit merveilleuse.